Le Bourgeois gentilhomme régale le public à l'Opéra Royal de Versailles
À l'occasion de la vingtième édition du Mois Molière, durant
lequel les arts du spectacle s'emparent de toute la ville de Versailles, l'Opéra Royal du Château accueille Le Bourgeois gentilhomme, œuvre culte
de Molière. Cette comédie-ballet, conçue en collaboration avec le compositeur
Jean-Baptiste Lully et créée à Chambord en 1670 devant Louis XIV, est
rarement représentée dans sa version originelle. Le metteur en scène et
comédien Jérôme Deschamps et le chef d'orchestre Marc Minkowski s'associent pour en proposer une version particulièrement réjouissante où
théâtre, danse et musique se complètent.
La mise en scène, de facture somme toute classique, se révèle être d'une redoutable efficacité. Jérôme Deschamps orchestre avec finesse une série de gags inventifs et multiplie les séquences succulentes qui laissent la part belle aux comédiens. Deschamps s'empare avec intelligence des scènes les plus connues, notamment la leçon du maître de philosophie et la cérémonie du Mamamouchi. Il n'hésite pas à transformer le plateau en ménagerie, conviant chameau, crocodile, cochon, coq et agneau lors de tableaux surréalistes.
Tel un meuble à tiroirs, le décor sobre et coloré offre de nombreux espaces de jeu propices aux apartés musicaux et chorégraphiques. Visuellement, c'est à un feu d'artifices qu'assistent les spectateurs. Les costumes colorés et fantaisistes, les coupes de cheveux extravagantes et les coiffes excentriques rivalisent de ridicule. Les chorégraphies, signées Natalie van Parys, prolongent la mise en scène farcesque en proposant un mélange savoureux de danse classique et de bouffonneries modernes. Vêtus de tutus blancs caricaturaux qui n'ont pas la grâce des ballerines romantiques, les danseurs évoluent dans un univers mordant où la préciosité du ballet baroque rencontre la trivialité de la danse des canards.
Le spectacle est mené tambour battant par Jérôme Deschamps en personne, irrésistible dans le rôle de Monsieur Jourdain. Il offre un festival de grimaces, enchaîne les pirouettes et multiplie les intonations à l'envi, le tout à un rythme effréné. Il compose un Monsieur Jourdain particulièrement attachant, sans pour autant atténuer le ridicule du bonhomme. Une troupe de comédiens pleinement investis l’entourent et l'accompagnent avec talent et énergie dans ses pitreries. Vincent Debost en Covielle jovial et pétillant, ainsi que Pauline Tricot, délicieuse en Nicole, forment un couple de serviteurs hilarants.
Les trois maîtres de Monsieur Jourdain sont incarnés par un trio efficace. Guillaume Laloux est élégant et précieux dans le rôle du Maître de danse, Sébastien Boudrot flatteur et impertinent dans celui du Maître de musique, Jean-Claude Bolle-Reddat délicieusement mièvre dans celui du Maître de philosophie. Aurélien Gabrielli compose un Cléonte pleurnichard à la voix sur-aiguë face à une Flore infantile et capricieuse campée par Lucile Babled. Pauline Deshons incarne une Dorimène moqueuse et pleine de fraîcheur tandis que Madame Jourdain est interprétée par l'intraitable Josiane Stoleru.
Les passages chantés sont interprétés avec beaucoup de charme et d'humour par un quatuor rafraîchissant, à l'aisance scénique indéniable. La soprano Sandrine Buendia délivre une prestation drôlatique au cours de laquelle elle prend un plaisir évident à exagérer les aigus stridents, agacée par les interruptions incessantes de Monsieur Jourdain, tout en accentuant la prononciation des "r", quitte à frôler le roucoulement. Le haute-contre Paco Garcia déploie sa voix éclatante au timbre clair lors d'airs délicats, sans être perturbé par les bêtises comiques de Nicole dont il est la victime. Le ténor Lisandro Nesis, dont la partition est plus réduite que celles de ses partenaires, n'en dévoile pas moins sa voix chaude à la ligne souple et ronde, tout en faisant montre d'une belle complicité avec Sandrine Buendia lors de leur duo. La basse Jérôme Varnier complète ce quatuor de choc grâce à sa voix vibrante, à la projection puissante et à la prononciation nette. Il interprète un grand Turc tout à fait drôle, vocalement vigoureux, teinté d'un léger accent d'Europe de l'Est.
Marc Minkowski dirige avec entrain les Musiciens du Louvre, dont l'interprétation élégante rend pleinement justice à la musique de Lully. Le chef d’orchestre parvient à assurer la cohérence avec le plateau, même lorsque les rires sonores du public couvrent la fosse d'orchestre. La célébrissime « Marche turque » est particulièrement mémorable, entamée tout en douceur, avec un tempo lent, par les musiciens qui, une fois levés, se laissent emporter crescendo par la verve de Lully jusqu'à un final extatique.
Ce moment de légèreté théâtral et musical, servi par un casting irréprochable, est salué par un public enthousiaste dont les zygomatiques auront été très sollicités.