Les Fleurs du mâle échauffent les Bouffes du Nord
De l’opérette au café-concert et au music-hall, la chanson légère
et quelquefois même vénéneuse, réjouissait alors un public tout
acquis à sa cause et à ses sous-entendus souvent scabreux. Plus
qu’une facétie, ce style éminemment suggestif entrebâillait la
porte vers un répertoire très spécifique où l’interprète
notamment féminine pouvait s’exprimer plus librement. Ces
mélodies, ces chansons parlent évidemment d’amour qu'il soit
sincère ou vénal. Les têtes tournent et le plaisir peut s’afficher
sans détour. La flamboyante Térésa en premier lieu, « la
Diva du ruisseau », enchantait le public mais aussi les têtes
couronnées au café-concert avec ses canards tyroliens où rien n’est
sacré pour un sapeur, tout un programme. Entre les deux guerres,
l’irrésistible Marie Dubas s’est vaillamment inscrite dans ses
traces.
Le programme -20 chansons et mélodies- concocté par le Palazzetto Bru Zane alterne les genres du plus sérieux au plus leste, avec une musique d’abord de forme classique basculant peu à peu vers le jazz ou le fox-trot. Jules Massenet et son Poème d’amour, Augusta Holmès avec son capiteux Hymne à Venus se rattachent au genre sérieux. L’opérette se risque avec délice sur des chemins plus hasardeux avec le fort explicite air de Giglio des Aventures du Roi Pausole d’Arthur Honegger, les renversants couplets de Lady Eversharp tirés du Brummel de Reynaldo Hahn ou ceux de la Duchesse de La Nuit aux Soufflets d’Hervé où un baiser volé laisse l’intéressée dans un trouble certain. Le savoureux duo des souvenirs (elle et lui) extrait du Phi-Phi d’Henri Christiné, ouvrage créé au surlendemain de l’armistice de 1918 avec un succès considérable, ouvre une nouvelle page florissante pour ce genre de musique.
Les deux interprètes féminines Norma Nahoun et Marie Gautrot, éloignées ici de leur répertoire classique habituel, pétillent de mille feux et se lancent à l’assaut de toutes ces partitions avec une délectation affichée. La voix de soprano de clarté et de fraîcheur, aux aigus délicats de Norma Nahoun s’empare avec vivacité et fausse candeur des fameuses Nuits d’une demoiselle, chanson sans ambiguïté composée en 1963 par Raymond Legrand pour son épouse, Colette Renard, qui avait triomphé à la scène dans la comédie musicale Irma la Douce. De son côté, le mezzo capiteux et large de Marie Gautrot se plie avec aisance et une musicalité sans défaut dans la fameuse mélodie « J’ai deux amants » extrait de L’Amour Masqué d’André Messager et Sacha Guitry, qui plait toujours autant au public. Son interprétation soignée et sans afféterie évoque la créatrice Yvonne Printemps. Les musiciens d’I Giardini, Pauline Buet au violoncelle et David Violi au piano, se lancent même avec cocasserie dans l’interprétation de Folâtrerie, mélodie très osée de Fernand Heintz et Édouard Valette (1931). Et légitimement Pauline Buet se retrouve au centre de La Violoncelliste, chanson immortalisée par les Frères Jacques.
La mise en espace ingénieuse de Victoria Duhamel achève d’assurer le succès de la soirée qui se referme très habilement sur le duo C’est bon de l’opérette Simone est comme ça de Raoul Moretti. Un moment trop court décidément, délicieux et bon enfant.