Les Puritains à l'Opéra de Liège, de cendres et de larmes
Ce choix d'opus exigeant et habile (à l'image d'une saison romantique) est placé sous la direction musicale de la cheffe principale attitrée Speranza Scappucci. L’opéra de Bellini, notamment dans sa version intégrale ici choisie, est réputé pour sa difficulté d’interprétation. Il est servi par une distribution de choix, d'autant qu'il se dessine complet et subtil, souligné par la mise en scène de Vincent Boussard, les décors de Johannes Leiacker, les costumes signés Christian Lacroix.
« Là est toute l’ambiguïté bellinienne : sa puissance dramatique provient de sa capacité à exposer les émotions dans une nudité et une fragilité si tendue qu’elle est au bord de la rupture » Vincent Boussard.
Pourtant, si la richesse musicale de cet opus est soulignée, c'est souvent pour dénoncer ce qui serait un manque de théâtralité. La dramaturgie se confirme nonobstant dans cette mise en scène, certes pas dans l'action mais dans une tension intime, ample et surtout empathique. La production épurée répond à la roideur de l’action (au contenu de cet opéra, de douleur et de déchirement) par une vision à mi-chemin entre une peinture du Caravage (légèrement voilée, lumière hors-champ, couleur tantôt chaude et tantôt glaciale) et une vision iconographe, romantico-gothique.
De cet habile mélange résulte une scène séparée du public par un léger voile, laissant entrevoir une arène carbonisée, vanité d’un amour, « énergie vitale et arme de destruction » (dixit toujours Vincent Boussard). Pudique et noble, la mise en scène, soulignée par les lumières de Joachim Klein et les projections vidéos d’Isabel Robson suspend un temps cinématographique. Le ralenti des gouttes d’eau, des battements d’ailes retenus d'un papillon confère sa poésie à la composition presque minimaliste et sombre, où les seules couleurs viennent des linges féminins.
D’un gris carbone généralisé, associé au silence des immeubles dévastés, la musique naît sous la direction à la fois implacable et volatile de Speranza Scappucci. La fosse nourrit l’action avec un sentiment profond et sombre. Les notes naissent pures, imperceptibles et viennent mourir avec l’éclat sensible du romantisme italien. Les cordes notamment sont insidieuses, rondes, fines et pourtant incisives, à la mesure du chagrin. Ce romantisme est à son apogée porté par les voix ouatées des chœurs mixtes de la maison, sous la direction de Pierre Iodice qui, hors champ, sonnent distants et feutrés, en stéréophonie (spatialisation du son voulue par le compositeur). De cette impression générale, les voix des solistes s’offrent avec une sage modération et une économie face à la difficulté de partition.
Lawrence Brownlee revient servir le personnage bellinien de Lord Arturo Talbot avec une confiance noble, matérialisée par une voix très fine, oscillante dans le vibrato mais irréprochable (et sensible) dans la ligne. Le personnage est incarné en alliant la fierté avec l'empathie, ainsi qu'une certaine pudeur mélodieuse : délicate pour passer au-delà des difficultés grâce à la compréhension et connaissance de ce répertoire.
La soprano colorature Zuzana Marková se dessine plus fragile et sensible encore pour le rôle d’Elvira. Fidèle à cette image d’une jeune femme abandonnée mais résolue, la voix de la chanteuse est acidulée, vive et d’une vélocité redoutable. Les notes pleuvent comme des larmes, et en plein trouble identitaire, Zuzana Marková réussit le pari d’une transformation de voix au deuxième acte : la montée en puissance vocale, à l’image du tourment est insaisissable, d’une économie nécessaire au début de la pièce pour finir en apothéose paroxystique. Doublée de silence par la danseuse Sofia Pintzou en rôle muet, l’ombre fantomatique de la folie se meut sur la scène en miroir de la chanteuse, vanité de la folie incarnée.
Mario Cassi, grand habitué de la scène liégeoise, interprète Sir Riccardo Forth d’une voix très latine, légèrement gutturale et pleinement romantique. D’une belle profondeur et rondeur de chant, le baryton offre un prisme vocal très large et déployé. Manquant légèrement de vélocité, parfois d'expression dans le sentiment, il rencontre des difficultés dans l’interprétation des airs les plus tragiques, imposant une certaine distance, certes à la mesure du caractère de son rôle : colonel puritain, amoureux éconduit. En Sir Gorgio, la basse Luca Dall’amico endosse une figure paternelle, d’une voix grave rassurante et profonde. Le dessin de la ligne est constant, clair et cependant marque un peu dans les aigus, dont la difficulté de partition convoque le registre du baryton.
Également habituée de la scène liégeoise, Alexise Yerna, pour le rôle d’Enrichetta, marque par une liberté d’interprétation et une voix oscillant entre un vif récitatif et un chant belcanto très direct. Naturelle et marquant le registre mezzo-soprano d’une vivacité d’interprétation, son jeu est poussé à la mesure de la voix qui se heurte parfois dans les aigus. Ce qui est perdu en sensibilité romantique est gagné en fraîcheur spontanée pour l'ensemble du plateau.
Zeno Popescu en Sir Bruno Roberton s’offre également d’un beau timbre vif, profond et guttural dans la continuité de ses incarnations précédentes in loco (pour Norma et Rigoletto), toujours aussi confiant mais légèrement en retrait - à l'image du Lord Gualtiero Walton d'Alexei Gorbatchev.
Le public salue cette incarnation de l'exigence belcantiste soutenue musicalement par un romantisme détaillé et une mise en scène épurée.