Barbe-Bleue d’Offenbach à Lyon, pour le meilleur et pour le rire !
Contrairement à
d’autres opus d’Offenbach (Barkouf, Maître Péronilla) récemment remis à l’honneur pour cette année qui
marque le bicentenaire du compositeur, Barbe-Bleue n’est pas
totalement inconnu du public français, l’œuvre ayant fait l’objet
de plusieurs reprises ces dernières années (à Massy, Angers-Nantes ou Rennes). Cette fois-ci cependant, l’œuvre est reprise
avec un réel respect de la musique et du texte originaux. Agathe
Mélinand n’a pas réécrit le texte (ou si peu) : seuls quelques dialogues un peu longs ont été raccourcis. Elle
apporte ainsi la preuve que sans besoin d’un quelconque "dépoussiérage" des textes, les spectateurs rient
encore et toujours aux livrets originaux lorsqu’ils manient avec
tant d’habileté le burlesque, l’héroï-comique et l’absurde.
La mise en scène de Laurent Pelly est d’une efficacité
redoutable. Avec un sens du rythme constant, il multiplie les gags
sans jamais rompre la continuité dramatique. Il propose des tableaux
à la fois séduisants à l’œil mais également respectueux du
cadre et des ambiances voulues par les auteurs, en dépit d’une
transposition (habile et surtout non appuyée) dans le monde
contemporain. Malgré un sujet plutôt grivois, Pelly ne cède jamais
à la tentation de la vulgarité : la force du rire s’en
trouve décuplée, le sous-entendu étant infiniment plus efficace
(et plus en phase avec l’esprit d’Offenbach et de ses
librettistes).
Laurent Pelly trouve en Michele Spotti un alter ego musical : le jeune chef d’orchestre s’amuse de toute évidence beaucoup en dirigeant cet opéra-bouffe, ce qui ne l’empêche nullement de respecter la partition. Certaines accélérations sont un peu inattendues, certains tempi parfois rapides (au point de rendre la compréhension du texte difficile), mais l’œuvre avance néanmoins, avec un sens du drame et de l’humour accordé à celui du metteur en scène. Le récitatif de Barbe-Bleue avant son premier air (« Encore une, soldats… ») sonne fort menaçant, le duo Boulotte/Barbe-Bleue du troisième tout aussi dramatique. Avec la complicité de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, dont les qualités de précision, de transparence et de légèreté servent au mieux l’écriture offenbachienne, il met par ailleurs en lumière la beauté de certaines pages, tel l’orage tout rossinien ouvrant le deuxième tableau du deuxième acte. Quant au chœur, assez sollicité dans cet ouvrage, il s’acquitte de sa tâche avec musicalité, dynamisme, mais aussi une bonne humeur absolument communicative.
Fidèle à Offenbach et Laurent Pelly dès la première heure (il incarnait, déjà à Lyon, le héros éponyme d’Orphée aux Enfers en 1997 !), Yann Beuron aborde ici le rôle-titre -loin d’être facile- de Barbe-Bleue. L’aigu est un peu moins aisé (et moins longuement tenu) qu’il n’y a guère, mais l’auditoire retrouve les qualités de clarté dans l’élocution, le raffinement de la ligne de chant, ainsi que la grande aisance scénique. Véritablement inquiétant lors de sa première apparition (sanglé dans un long manteau noir, cheveux noirs coiffés en brosse et rasés sur la nuque, barbe noire aux reflets argentés), le chanteur-comédien sait aussi se faire cynique, drôle, menaçant, ou franchement mufle lorsqu’il chante son désir de tuer Boulotte afin que le nombre de ses victimes atteigne la demi-douzaine !
La mezzo Héloïse Mas remporte un triomphe en Boulotte. La voix est chaude, colorée, assortie de graves bien assis et de puissants aigus. Elle pourrait paraître trop puissamment lyrique pour le rôle de la paysanne nymphomane Boulotte, mais Héloïse Mas se glisse avec aisance dans le rôle de la paysanne, dont elle prend les poses et l’accent avec un naturel confondant et hilarant.
Les autres interprètes ont des rôles plus épisodiques mais ils n’en tirent pas moins tous efficacement leur épingle du jeu. Jennifer Courcier (la Princesse), Carl Ghazarossian (le Prince Saphir) et Aline Martin (la Reine) n’ont pas des voix extrêmement puissantes, mais ils incarnent leurs personnages avec beaucoup de conviction et de drôlerie. Thibault de Damas (le Comte Oscar) détaille les couplets des courtisans avec aisance et un humour d’autant plus qu'il rend chaque mot du livret audible et compréhensible. Le rôle comporte par ailleurs beaucoup de texte parlé, que le baryton restitue avec des qualités de comédien. Christophe Gay détaille les couplets de Popolani d’une voix claire et bien timbrée, il campe un alchimiste à la fois inquiétant, drôle et humaniste. Enfin, Christophe Mortagne, après avoir incarné le Roi Carotte sur cette même scène en 2015, semble se spécialiser dans les rôles de tyrans ridicules et stupides, pour le plus grand bonheur des spectateurs qui éclatent de rire à plus d’une reprise face à son incarnation savoureuse, portée par une physionomie et une gestuelle amusantes, mais aussi une voix, dont le chanteur accentue volontairement le côté aigre et nasillard, particulièrement percutante.
Le spectacle se poursuit à Lyon (réservez vite vos places) puis il sera repris en décembre et janvier prochains à Marseille : à ne pas rater, tant il est vrai que, comme le chante Barbe-Bleue, « Foin de la tristesse ! / Vive le plaisir ! / La seule sagesse / Est de s’esbaudir » !