Hamlet d’Ambroise Thomas referme le Festival Musica Nigella
Hamlet d’Ambroise Thomas, opus trop rarement joué (bien qu’il fit vibrer l’Opéra Comique en décembre dernier avec Sabine Devieilhe & Stéphane Degout, ainsi que le Châtelet en l’an 2000 avec Thomas Hampson et Natalie Dessay) présente un magnifique rôle de baryton, riche en airs et complexe en caractère, dans lequel s’illustre ici le jeune Laurent Deleuil. Doté d’une personnalité artistique affirmée, il se révèle de plus en plus à mesure que le spectacle progresse, prenant confiance en lui et en sa présence scénique jusqu’à incarner la folie avec beaucoup de naturel. Sa voix brillante lui permet des nuances variées et subtiles, la profondeur est au service du personnage, avec l’exigence (justesse et placement notamment) indispensable comme pour l’autre soliste principal. Louise Pingeot offre une Ophélie douce et attendrissante, impressionnante dans la fameuse scène de folie de l’acte IV par sa voix riche. Les aigus sont faciles et placés. L’exigence de la partition n’encombre pas la musicalité et la sincérité des phrasés. Sans surjeu, elle dégage une émotion sincère et fraîche.
La basse Erwan Piriou interprète le rôle du Roi Claudius avec force noblesse, malgré quelques difficultés vocales et une émission légèrement nasale. Doté de beaux graves soyeux, il se sort très bien de l’air difficile au troisième acte. Floriane Petit, mezzo-soprano, est une Reine Gertrude crédible mais vocalement inégale, possédant un timbre dessiné, mais des graves un peu forcés et un vibrato mal maîtrisé qui provoque certains problèmes de justesse. L’investissement scénique compense une diction assez moyenne, surtout en comparaison de celle de ses partenaires.
En Laërte, le jeune ténor Léo Muscat montre son potentiel, mais l’émission est encore trop nasale et manque de profondeur. Trystan Aguerre, qui interprète les rôles du Spectre et de Polonius, possède un timbre de basse lui aussi très prometteur, et une conscience de la ligne vocale. Enfin, les rôles de Marcellus et Horatio, comme ceux des fossoyeurs, sont interprétés par le ténor Ignacio Vallina et le baryton Jérôme Wukovitz avec justesse et simplicité, un grand enthousiasme et une assise vocale qui ne demande qu’à se développer.
L’ensemble choral Diapason, préparé par Karim Affreingue, est précisément au diapason des promesses et de l’enthousiasme général, affichant son investissement par un vrai plaisir à être sur scène. La diction claire et précise de tous les chanteurs est à saluer, car elle permet une compréhension sans faille, malgré l’absence de surtitrage. L’Ensemble instrumental Musica Nigella dirigé par Takénori Némoto réussit à faire oublier ou accepter la petite taille de la formation (pour cette partition si riche en timbres et couleurs orchestrales) grâce à une direction précise et attentive. Si la justesse fait défaut chez les cordes, les cuivres montrent des qualités rares dans ce domaine. La mise en scène de Didier Henry, quoiqu’un peu datée, est simple et efficace, avec l’orchestre sur scène derrière un écran sur lequel sont projetées des images qui permettent aisément de comprendre l’évolution de l’intrigue : des nuages nocturnes pour les scènes spectrales, des petites fenêtres médiévales pour l’intérieur du palais, un lac boisé pour la scène d’Ophélie. Devant cet écran, les artistes sont en costumes simples et modernes, sans décors. Les lumières très soignées viennent ajouter à l’aspect fantomatique et intrigant de l’œuvre.
Le succès de la production est largement porté par les deux solistes principaux, mais également par l’enthousiasme général de tous les participants, un plaisir visible et contagieux parmi le public, ravi.