Joyce DiDonato en Agrippina impose son règne sur le Théâtre des Champs-Elysées
La mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato a exprimé dernièrement sur les réseaux sociaux le bonheur que lui procurent la découverte et l'exploration du rôle-titre d'Agrippina. Elle le prouve sur scène, arborant la joie profonde qu'elle éprouve à interpréter cette femme multiple, intelligente, manipulatrice, mais aussi mère aimante et épouse émouvante. Dotée d'une présence scénique indéniable, elle fascine par sa façon bien à elle d'incarner le personnage, non seulement physiquement mais aussi vocalement : en pleine maturité vocale, elle module son chant pour chaque usage qu'elle doit en faire. Brillante et agile, elle sait se rendre dure pour correspondre aux traits du personnage, mais aussi transformer son chant en velours pour se faire séductrice, ou tout simplement pure et douce comme le miel lorsqu'elle doit émouvoir. Scéniquement, elle donne l'impression de diriger tout le spectacle, les instrumentistes comme les chanteurs, et le plaisir qu'elle y prend est très contagieux.
Si l'opéra est donné dans une version concert presque stricte, chaque personnage est malgré tout dessiné par son interprète et la compréhension du livret se fait sans aucun problème, malgré les nombreux personnages et les intrigues alambiquées. Nerone, interprété par le contre-ténor Franco Fagioli, est bien le fils de sa maman, aussi pervers qu'elle, simplement moins intelligent. Fagioli lui offre son talent comique, dont il use avec beaucoup de goût et de réussite. Il est également impressionnant par sa facilité à étirer la ligne vocale, semblant survoler tout ce qu'il chante avec une aisance déconcertante sans oublier ni l'ancrage de la voix ni les vocalises assurées.
Le Pallante d'Andrea Mastroni est quant à lui une basse conquérante affirmée, tandis que le Narciso de Carlo Vistoli (contre-ténor) est dévoué à son impératrice. Les deux comparses donnent une interprétation très juste de ces rôles secondaires, avec la complexité de caractères mais aussi de voix contrastées s'équilibrant. Xavier Sabata, également contre-ténor, offre un Ottone très attachant. Malgré son attitude modèle, aussi voulue que légèrement agaçante, le personnage se trouve finalement être le seul parfaitement honnête, qui ne recourt ni à la manipulation, ni au mensonge. La voix veloutée du chanteur caresse le cœur, et sa très belle sensibilité rend certaines scènes particulièrement touchantes.
Parmi ces noms connus des habitués, la soprano française Elsa Benoit épate visiblement l'assistance en Poppée, vibrante et capable d'incarner une grande palette d'émotions, donnant ainsi une interprétation très fournie du personnage. Souffrant parfois d'un manque de clarté dans la diction, et d'erreurs dans la prononciation de l'italien (beaucoup de voyelles trop fermées viennent gêner son émission), elle se rattrape par une technique assurée et assurant la rondeur d'un charme vocal. Biagio Pizzuti offre un Lesbo sans faste mais convenant de ce fait à ce personnage sans réelle importance dramaturgique et sachant même convaincre quant au maintien de sa voix baryton.
Pour finir, le Claudio de Gianluca Buratto (basse), manque parfois un peu de caractère vocal, mais sa musicalité souligne l'émotion touchante et touchée dans l'air "Vieni cara". Il incarne le rôle avec la prestance nécessaire, mais sans y ajouter une touche de personnalité.
L'ensemble Il Pomo d'Oro est dirigé avec fougue et brio par Maxim Emelyanychev, parcourant l'œuvre avec talent et endurance. Sans une seconde d'essoufflement, les musiciens offrent une chaleur et une passion palpables, à l'image de la réception par le public.