War Requiem de Britten bouleversant à la Philharmonie de Paris
Œuvre d’une austérité grandiose et retenue, glaçante par bien des aspects avec un goût de fin du monde, le War Requiem de Benjamin Britten résonne des malheurs et des désastres de la Première Guerre Mondiale un siècle et un an après l'Armistice. Créé en mai 1962 en mémoire de plusieurs amis du compositeur disparus au combat lors du second conflit mondial et dans le cadre de la re-consécration de la Cathédrale de Coventry durement touchée par les bombardements nazis, il puise aux sources littéraires fascinantes de Wilfred Owen, poète-soldat disparu une semaine avant le 11 novembre 1918.
Les six parties de ce Requiem exaltant le pardon et la réconciliation, composé par un objecteur de conscience pour trois solistes (de trois nationalités jadis belligérantes unies à la création) alternent les textes d’Owen et les parties liturgiques traditionnelles en offrant une place prépondérante au chœur d’adultes, les passages plus intimes et chargés d’espoir se trouvant confiés au chœur d’enfants, deux phalanges qui s'expriment ici depuis les coulisses de la Philharmonie offrant une vision rayonnante, enveloppante et confiante de l’avenir. Admirablement préparé par sa directrice Béatrice Warcollier, le Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris par sa fraîcheur d’âme, sa beauté expressive donne des frissons tandis que la grâce émerge du Chœur de l’Orchestre de Paris (composé exclusivement d’amateurs et sous la direction de Lionel Sow). La plénitude -par la justesse des notes et des articulations, l'équilibre des phrases et des plans harmonieux et précis- est au rendez-vous de toutes les parties très nuancées, voire chuchotées. Les trois solistes apparaissent à l’unisson et se plongent dans cette œuvre avec une ferveur communicative.
Remplaçant Albina Shagimuratova initialement prévue, Emma Bell affronte avec aplomb les nombreux passages forte de la partition d’une voix de soprano plus dense qu’éclatante, aux aigus facilement projetés, tout en respectant les parties plus retenues, d'autant que sa position au premier rang des chœurs facilite son intégration à l’ensemble. D’une voix très anglaise de timbre, le ténor Andrew Staples illumine ses interventions avec une clarté aboutie, un sens du phrasé et de l’intention remarqués. Nul éclat superlatif, mais une attention permanente et juste au texte comme à la musique. De cette simplicité affichée émane la sincérité et un sentiment de vulnérabilité qui sied à l’ouvrage. Plus affirmé, tout aussi intense que son confrère mais avec d’autres moyens, Christian Gerhaher bouleverse par son implication, un désespoir sans retenue. Son baryton, si imprégné par le Lied, tonne et résonne dans l’éclat de ses couleurs et sur l’ensemble de la tessiture.
Daniel Harding pour sa part apparaît complètement imprégné par la musique de Britten, ses résonances, ses implications. Il guide chaque pupitre de l’Orchestre sur le chemin privilégiant à l’éclat -somme toute peu présent dans cette partition- la nuance et les contrastes. L’Orchestre de Paris ainsi savamment guidé se surpasse et participe de beaucoup à la profonde émotion ressentie tout au long de la soirée qui reçoit un accueil enthousiaste du public.