Les Vêpres Pascales de Rachmaninov à la Cité de la musique
Avant tout célèbre grâce à ses Concertos pour piano et Symphonies, le compositeur et pianiste virtuose russe, laissa également quelques œuvres importantes du répertoire choral. Après le succès des Cloches et de sa Liturgie de Saint Jean Chrysostome, il crée en 1915 (alors en pleine force artistique) ce qu’il désignera plus tard comme l'une de ses meilleures créations : Vigiles nocturnes (ou La Grande Louange du soir et du matin). Le titre "Les Vêpres" habituellement employé en France est donc erroné –cette œuvre représente un office dans l’Église orthodoxe qui réunit les textes des Vêpres, Matines, Primes et qui est donné la veille des grandes fêtes (renvoyant à l’époque des premiers chrétiens qui célébraient le Christ la nuit en cachette). Par conséquent, ce concert programmé au sein du week-end Rachmaninov s’inscrit bien dans le calendrier Pascal orthodoxe (fêtant la résurrection du Christ une semaine après les catholiques cette année).
Bien qu’il soit un ensemble composé "d’amateurs", le Chœur de l’Orchestre de Paris s’empare avec audace de cette composition pleine de difficultés vocales (une raison également de sa rareté) sous la direction de la professeure du Conservatoire d’Oslo et spécialiste de la musique chorale, Grete Pedersen. Comme il se doit pour toute musique russe chorale, la ligne de basse est mise en avant : le Chœur se met en formation croisée et symétrique qui renforce l'équilibre sonore, en faisant valoir toutes les voix sur la charpente des basses profondes placées au cœur du chœur. La prononciation soignée du texte slavon est fortifiée par la cohésion des parties et la précision de la ligne, quelquefois troublée à l’attaque. L’acoustique de la Cité de la musique (petite sœur de la Philharmonie) ne rend hélas pas hommage à l’ampleur nécessaire pour certains mouvements : dans les emphases, les choristes manquent d’intensité et de résonances. Cette sécheresse sonore se fait remarquer particulièrement dans Blažen muž (Heureux l’homme), où les phrases sont sectionnées dans un tempo trop lent. En revanche, toute la beauté du son choral s’accomplit dans les mouvements doux et intimes. Grete Pedersen parvient à rendre les figuralismes et l’abondance des détails dynamiques (changements qui surviennent parfois à chaque mesure) lorsque les soprani entonnent en élégance et douceur le chant angélique (Chérubins et Séraphins) ou quand les basses creusent la profondeur du tropaire « Ressuscité du tombeau ».
Sublimes Vêpres de Rachmaninoff par @ch_OrchParis Grete Pedersen @philharmonie ! pic.twitter.com/ip79xNtWFF
— Edouard Fouré Caul-Futy (@EdFoureCaulFuty) 28 avril 2019
La mezzo-soprano Séraphine Cotrez offre une courte intervention dans la première partie du concert. Après un début timide, elle retrouve de l’assurance, avec une articulation et prononciation correcte du slavon. Toutefois, son interprétation semble dénuée des indications expressives notées dans la partition, et sa voix ne projette pas suffisamment. Son collègue Anton Kuzenok ajoute une couleur russe à son timbre doux et chaleureux de ténor qui se déploie pleinement dans les chants de Kiev (mouvements 4 et 5). Sa voix de tête, bien qu’un peu tendue, est tout de même colorée d’émotion et d'une musicalité très expressive dans l'humble prière Nynje otpuščaješy (Maintenant, Maître, tu laisses aller ton serviteur), que le compositeur même souhaitait qu’on chantât à ses funérailles. Sa prononciation de la langue chantée est fort appréciée du public qui le salue chaleureusement, ainsi que l'ensemble des interprètes à l’issue de concert.
Voici une autre version des Vêpres de Rachmaninov :