Lady Macbeth par Warlikowski : du déjà-vu ? [mis à jour]
« Warlikowski me rend hommage à Paris dix ans après la création de ma production de Lady Macbeth. Je me sens très honoré » (Warlikowski me hace un homenaje en París a diez años del estreno de mi producción de Lady Macbeth. Me siento muy honrado). C'est par ces mots, à l'euphémisme pour le moins ironique, que le metteur en scène argentin Marcelo Lombardero a accompagné sur les réseaux sociaux une photographie de sa mise en scène de Lady Macbeth du district de Mzensk, créée en 2009 à l'Opéra de Santiago du Chili. Cette photo prouve en effet que l'Argentin a eu la même idée, dix ans avant l'artiste polonais Krzysztof Warlikowski, de mettre en scène l'opéra russe de Chostakovitch dans une boucherie avec des carcasses animales suspendues. Les ressemblances ne s'arrêtent pas là : l'ensemble de cette scène est placé dans un abattoir, ce qui constitue un angle essentiel, voire la clé de voûte pour la mise en scène de Warlikowski. Le bureau côté Jardin et les néons surplombant des tables de charcutage sont d'autres ressemblances pour le moins troublantes. D'autres scènes similaires ne peuvent être qualifiées de plagiat, car elles correspondent assez directement au livret ou aux médiums contemporains (cadavre traîné à travers la scène, bagne, emploi de la vidéo) cependant, le travail de Marcelo Lombardero est connu du monde artistique mais également du public international : le metteur en scène a surtout œuvré en Argentine mais cette mise en scène de Lady Macbeth du district de Mzensk a été vue sur notre continent, en avril 2015 et c'est par elle que l'opus a fait son entrée au répertoire de Monte-Carlo.
Si de nombreux commentaires sur Facebook suite à cette révélation accusent la nouvelle production parisienne de plagiat, notre correspondant en Argentine Sébastien Vacelet a pu interviewer directement Marcelo Lombardero :
Pouvez-vous nous raconter les circonstances dans lesquelles vous avez découvert la mise en scène de Warlikowski ?
J’ai découvert cette mise en scène sur YouTube, quelqu’un me l’a envoyée pour que je la voie. Je ne pouvais pas y croire… Je ne suis pas quelqu’un qui regarde beaucoup de spectacles parce que je suis un mauvais spectateur mais j’essaye de me tenir informé de ce qui se passe. Mais dans ce cas, clairement on y voyait une réalisation et un concept identiques aux miens.
Quelle fut votre réaction ?
Un mélange de plusieurs choses : d’un côté, la stupéfaction, d’un autre l’indignation, parce qu’on est en droit d’estimer qu’un collègue de cette trempe, avec une carrière comme la sienne, n’a pas besoin de faire ce genre de choses, qu’il peut trouver ses propres choix dramatiques pour raconter des histoires. La troisième, c’est l’impuissance, parce que je sais que je ne peux pas faire grand chose, que la limite entre légalité et illégalité, entre plagiat et non-plagiat est très subtile. Et d’un autre côté, je ressens une grande fierté, une fierté occulte pourrais-je dire, qu’un collègue de la catégorie de Warlikowski me fasse un hommage aussi énorme de mon vivant ! On s’attend plutôt à ce que ce genre d’hommage se fasse après être passé à trépas.
Avez-vous l’intention d’engager des poursuites ?
Je ne crois pas que je puisse faire un procès, que j’aie la force, la détermination pour faire une demande légale, dans un autre pays, parce qu’alors ce devrait être un procès intenté contre le théâtre et le metteur en scène. Je préfère utiliser mon énergie pour d’autres choses plus productives. Et en plus le mal est fait, si j’étais amené à prendre ce spectacle, l’un de mes préférés parmi tous ceux que j’ai réalisés, je devrais l’expliquer, expliquer que l’idée originale était la mienne, et non celle de Warlikowski. Parce que bien évidemment surgirait cette impuissance face au pouvoir de l’Opéra de Paris, dans le sens où ils peuvent étaler ça de cette façon-là, sans en avoir rien à faire.
Comment est né votre projet de Lady Macbeth, à l’époque, à Santiago du Chili ?
En 2009, j’ai été invité par Andrés Rodriguez [Directeur général du Teatro Municipal de Santiago du Chili à cette époque, ndlr] pour la création de Lady Macbeth de Mzensk à Santiago. Nous l’avons aussi représentée en 2010 au Teatro Argentino de La Plata [capitale de la Province de Buenos Aires, en Argentine], en 2011 nous l’avons monté à Poznań, en Pologne, où Warlikowski ou son chef décorateur ont certainement vu le spectacle. On l’a également joué en 2015 à l’Opéra de Monte-Carlo, à Monaco, et nous sommes retournés le monter à Santiago en 2017. Ce spectacle a obtenu le prix de la meilleure production d’opéra par l’association des critiques de Santiago en 2009 et a été également récompensé par la presse polonaise comme la meilleure production d'opéra de ce pays pour l’année 2011. La mise en œuvre à laquelle nous avions pensé pour cette production consistait à s’affranchir du contexte historique et rural de la Russie du milieu du XIXe siècle et de le transposer en le rapprochant de la seconde moitié du XXe siècle, sans plus de précisions. L’idée était de parler au départ du cas d’une femme poussée au crime du fait de l’oppression, de l’oppression masculine en particulier. En réalité, elle est une victime de cette violence qui lui tourne autour.
Comment vous est venue l’idée de l’abattoir et quelle signification a-t-il pour vous ?
L’idée est née à partir de cette histoire de chair et de sang, en la racontant dans une chambre froide, un abattoir, un endroit où l’on dégrossit la viande, avec des carcasses de bœuf. On a donc travaillé avec un certain type de matériel, de façon hyper réaliste, avec des carcasses, des morceaux de viande que le chœur découpait, en même temps qu’il se tachait de sang à fur et à mesure qu’ils faisaient leur boulot, parce que tous les membres du chœur étaient des employés, vêtus de tablier en plastique blanc, portaient des bottes blanches, des casquettes blanches, des blouses d’un bleu clair -identiques à celles utilisées par Warlikowski à l’Opéra de Paris-, des tables en aluminium montées sur roulettes -les mêmes que Warlikowski. Et la réalisation du viol sur la table où se trouve la viande, avec l’idée que le corps n’est qu’un morceau de viande, était également dans notre mise en scène. Nombreuses sont les « coïncidences » qu’il y a dans cette production. Je pourrai signaler la scène où Katerina réprimande les employés et enlève une cigarette à l’un des employés exactement au même moment que dans ma version. L’idée de l'abattoir m’est venue d’un film argentin de série B, une sorte de porno soft : le déclencheur en fut ce film avec Isabel Sarli qui s’intitule Viande [Carne en espagnol, long métrage produit en 1968, ndlr].
C’est l’histoire d’une femme qui travaille dans une chambre froide et qui se fait violer sur une carcasse d’animal, dans un camion frigorifique. C’est à partir de cet élément déclencheur qu’est né ce projet. Il est bien certain qu’il y a quantité d’autres choses de ma réalisation qui vont être différentes dans celle de Warlikowski. Après, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il a fait avec l’œuvre mais, selon moi, celle-ci se passe dans un endroit où les maîtres de la Terre sont aussi les maîtres des gens qui y habitent. Tout cela est encore possible en Amérique du Sud. Et, comme dans toutes mes productions, je garde un regard sur cet endroit d’où je suis. Alors l’idée était que cela pouvait très bien se passer dans une espèce de chambre froide ou d’abattoir de la province de Buenos Aires.
Mise à jour du 30/04
Contacté par nos soins, Krzysztof Warlikowski a apporté la réponse suivante à cette polémique : "Je tiens à affirmer de la manière la plus claire et définitive que jamais, jusqu’à ce matin, nous n’avions entendu parler, mes collaborateurs artistiques et moi, du spectacle de mon collègue argentin. Notre décision d’évoquer un abattoir pour situer l’action de Lady Macbeth est le résultat de séances de travail que nous avons eues au cours de notre préparation, l’idée de l’abattoir s’imposant de façon unanime parmi nous après que d’autres options ont été envisagées. Cette situation me convainc, une fois encore, que des œuvres aussi fortes que celle de Chostakovitch peuvent générer des intuitions qui appartiennent au moins autant à l’œuvre même qu’aux metteurs en scène qui l’interprètent".
Poursuivre la lecture avec la seconde réponse, plus détaillée, de Krzysztof Warlikowski
Comparaison en images puis vidéos des deux productions :
Vidéo complète de la production de Lombardero :
Trailer de la production de Warlikowski: