Le Téléphone et Amélia va au bal, sujets actuels à Toulon
La mise en scène de Sylvie Laligne du Téléphone de Menotti souligne la grande modernité de l’œuvre : le rival de Ben n’est plus seulement un combiné téléphonique, mais une myriade d’outils de communication. Lucy, qu’il voudrait demander en mariage, téléphone, certes, mais elle Tweete aussi, et Skype ou envoie des SMS qui s’affichent en fond de scène. Ben ayant la bonne idée d’utiliser ces outils pour enfin entrer en communication avec sa belle, le couple se marie. Frustrée par cette fin « facile », Sylvie Laligne utilise un autre opéra de Menotti pour montrer les dégâts futurs de ce manque de communication. Grâce aux couvertures de la presse people, le public comprend que Lucy prend le nom d’Amélia en hommage à sa mère décédée, tandis que Ben, sportif de haut niveau, devient riche et célèbre : ce couple d’aujourd’hui (enfin, de 2017, les dates affichées n’ayant pas été actualisées depuis la création de la production) peut ainsi prendre les rôles principaux d’Amélia va au bal (Amelia goes to the bal), dans lequel le Mari se confronte à l’Amant de sa femme, qui n’a de son côté qu’une idée en tête : aller s’amuser au bal, quelles qu’en soient les conséquences. Le décor astucieux est bien exploité pour créer de la comédie.
La prononciation de l’ensemble des chanteurs permet au spectateur anglophone de se passer des surtitres, dont la traduction du livret est très approximative. Micaëla Oeste assume pleinement ses rôles de Lucy (et ses dialogues avec le piano vrombissant ou la flûte attendrie) et d’Amélia par une fraîcheur et une coquetterie piquante bien dessinées. Sa voix fine et pointue au timbre pur, légèrement acidulée, est agile mais manque de volume. Elle file toutefois un long et délicat aigu dans sa prière où la retenue de l’orchestre la met en valeur. Guillaume Andrieux reprend ses rôles de Ben et du Mari qu’il tenait déjà à Metz il y a deux ans (ce qui lui permet, contrairement à ses collègues, une certaine fluidité dans les chorégraphies prévues par la mise en scène). Physiquement crédible en sportif de haut niveau, il émet avec musicalité une voix lumineuse et épanouie qui se serre dans le grave, rondement vibrée, et qu’il parvient à projeter suffisamment pour laisser éclater sa fureur soutenue par les cuivres à l’orchestre.
Le ténor Christophe Poncet de Solages est un Amant espion (mal à l’aise avec ses armes) qui met sa voix claire et pincée, bien projetée et quasiment dénuée de vibrato, au service de son amante. Sa ligne vocale imparfaitement tenue provoque toutefois des défauts de justesse. Marie Kalinine chante le court rôle de l’Amie de sa voix charnue qui s’épure dans l’aigu. Thomas Dear en Commissaire vient consoler Amélia à la fin de l’opus de son timbre aussi séducteur que son personnage. Sa voix est ample, le phrasé rythmé.
Le chef Jurjen Hempel dirige les partitions pétillantes, sautillantes et mutines de Menotti, que l’Orchestre de l’Opéra de Toulon exécute avec précision, assumant tout aussi bien les passages plus lyrique. Son enthousiasme aurait toutefois mérité d’être contenu, afin de mieux mettre les voix en valeur. Le Chœur de l’Opéra, dynamique, est mis en difficulté par une chorégraphie peu inspirée et par un manque de cohérence rythmique (malgré les indications claires du chef qui lance les départs comme des coups de revolver).
Si la salle est loin d’être pleine, elle ne boude pas son plaisir et rappelle les artistes à de nombreuses reprises pour applaudir leur travail.