Maria Stuarda à Avignon : deux Reines sur le Pont
Moins souvent représenté que Lucia di Lammermoor, Maria Stuarda n’en reste pas moins l’un des grands chefs-d’œuvre de Donizetti. Il met en scène deux femmes. Deux cousines. Deux reines rivales, dont l’une est tombée entre les mains de l’autre. Comme souvent dans ses œuvres, le compositeur alterne des moments d’une grande intensité dramatique (la rencontre entre les deux souveraines, par exemple) et des moments plus intimes, comme au troisième acte, lorsque Maria Stuarda, condamnée à mort, se confesse auprès de son conseiller, Talbot, puis lorsqu’elle entonne une prière au milieu de ses partisans.
Si le public a applaudi debout à la fin de cette version concert proposée par l’Opéra Grand Avignon, c’est d’abord du fait de la qualité, de l’homogénéité et de la complémentarité de la distribution. En effet, les ensembles sont omniprésents dans cette œuvre, à l’inverse des chœurs dont les apparitions sont plus rares, et l’alchimie entre les chanteurs y est primordiale. A ce titre, l’interprétation des finales des deux derniers actes, et notamment le sextuor du deuxième acte, ont impressionné : l’accord entre les voix et le sens profond des nuances de chacun des interprètes ont permis la mise en valeur de l’ensemble et des individualités.
Patrizia Ciofi chante Maria Stuarda à l'Opéra Grand Avignon (© Jean-Pierre Maurin)
Le rôle-titre, celui de la Reine d’Ecosse, interprété hier soir par la très bel cantiste Patrizia Ciofi, est d’une très grande exigence. Si le personnage n’arrive qu’au second acte, sa présence y est quasiment continue, les morceaux de bravoure vocale s’enchaînant à un rythme soutenu, jusqu’à atteindre son paroxysme à la fin de l’œuvre, pour l’air de la prière (que nous vous avions présenté en Air du jour il y a quelques mois) et le finale. Dès les premiers instants, la soprano, grande habituée de l’œuvre de Donizetti, impressionne. Derrière son pupitre, elle vit profondément l'humiliation puis la révolte de son personnage : lorsque celui-ci insulte la Reine Elisabeth du très célèbre « Figlia impura di Bolena » (« Fille impure de Bolena »), signant au passage son arrêt de mort, les mots résonnent et le public se fige. Les autres interprètes ne semblent pas devoir se forcer pour jouer la stupeur !
Karine Deshayes chante la Reine Elisabeth à l'Opéra Frand Avignon (© Aymeric Giraudel)
Face à elle, Karine Deshayes débutait dans le rôle d'Elisabeth, reine d'Angleterre et d’Irlande, dont la difficulté, au-delà des aspects vocaux, consiste dans la complexité dramatique du personnage. Ainsi, sa première intervention exalte son dévouement pour le bien de son peuple. Touchante, Deshayes joue la bonté et l’on se prend de sympathie pour le personnage. Puis, au fil de l’acte, la jalousie et une haine viscérale s’emparent de la Reine. Cette évolution est parfaitement maîtrisée par la mezzo-soprano, dont l’air hautain la rend odieuse, lorsque son personnage insulte Maria Stuarda, humiliée à ses pieds. Vocalement, Deshayes déroule la partition, dont elle tourne les pages avec grâce, comme si elle en était une habituée, et l’on a hâte de la voir effectuer le passage en version mise en scène.
Il aura fallu un peu plus de temps à Ismaël Jordi, interprète du Comte Lescester, objet de l’amour des deux reines, pour entrer dans sa partition et se hisser au niveau des deux autres premiers rôles. Apparemment gêné par un rhume, le ténor a d’abord peiné à trouver la finesse vocale et la justesse dramatique nécessaire à son rôle. Sur-jouant parfois le désespoir alors que son personnage, dans la première partie, aurait gagné à conserver un certain flegme, il est apparu ensuite bien plus à l’aise, dès son premier duo avec Ciofi. Son Comte devint même extrêmement convainquant en amant révolté dans le troisième acte. Dans les finales, son timbre ensoleillé a également fait merveille, grâce à des nuances lui permettant de se fondre dans l’ensemble pour en mieux ressortir sur les phrases musicales accentuées.
A leur côté, le baryton Yann Toussaint a livré une interprétation magistrale du chancelier Cecil. Sa voix ressortait, belle et puissante, chaque fois qu’un espoir semblait naître pour Maria Stuarda, afin de l’anéantir. A ses côtés, Michele Pertusi, impassible et inexpressif, les yeux rivés sur la partition, aura offert un Talbot vocalement parfait, sa voix ténébreuse de prêtant magnifiquement au rôle, mais trop absent dramatiquement. Enfin, la belle Anna de Ludivine Gombert nous fait regretter l’absence d’air dédié à son personnage : nous l’attendrons donc au mois de juin dans les mêmes murs, en Micaëla dans Carmen !
Luciano Acocella, Directeur Musical
A la baguette, Luciano Acocella revient en France après son Otello de Massy en novembre dernier. D’un geste chirurgical, il dirige l’Orchestre régional Avignon-Provence d’une main de maître, rendant justice à la force orchestrale de la partition. Alerte, il garde à tout moment un œil sur ses chanteurs afin de mettre au mieux leurs qualités en valeur.