Hervé Niquet et Véronique Gens, Armide magique à la Cité Musicale de Metz
Benoît Dratwicki, Directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, annonce en préambule le privilège à venir. Armide de Lully, créé en 1686, subit maintes réécritures et remaniements, dont la proposition de Louis-Joseph Francœur, commande de l’Opéra de Paris (la Lorraine et le TCE contribuent donc eux aussi aux 350 ans de cette institution). Le concert donné à Metz propose donc une œuvre qui n’aura été jouée qu’une seule fois, trois jours auparavant, car la partition de Francœur n’était pas sortie des archives de la Bibliothèque Nationale de France avant que le Centre de musique baroque de Versailles ne s’atèle à la tâche et qu’Hervé Niquet ne la dirige. Benoît Dratwicki renchérit sur l’événement en rappelant que cette version ne conserve qu’une infime part de l’œuvre de Lully, mais la très grande majorité du livret de Philippe Quinault.
Outre la grande part originale et l'infime part musicale originelle, ses couleurs constituent aussi une curiosité intrigante. Suivant la ligne de Lully autant que le tournant opéré par Gluck, cet Armide conserve la pompe et les emportements d’archets chers au baroque, avant de s’acheminer vers des mesures moins saccadées et une distribution plus large des instruments. Hervé Niquet dirige autant qu’il vit l’œuvre, par une puissante gestuelle qui véhicule les tourments de la magicienne et de Renaud. Les instrumentistes du Concert Spirituel, de la flûte pépiant aux cordes emportées, des trompettes glorieuses à la grosse caisse triomphante, participent autant à la (com)préhension de l’œuvre. Le chœur de la formation, puissant, précis et à la diction claire, magnifie en les reprenant les paroles des personnages.
L’héroïne est incarnée par Véronique Gens, drapée d’une robe rouge sang qui sied à la passion de la magicienne. Si le port altier de la soprano rend toute la puissance de la fiévreuse Armide, il n’est que la cerise sur un gâteau vocal texturé, riche de couleurs et de puissance. Les aigus peuvent être flûtés comme le pendant instrumental, vibrer sans grandiloquence mais avec une juste mesure, devenir fiévreux, chaleureux ou tranchants. Quelle que soit la couleur donnée, la projection est puissante et claire. Sans livret ni sur-titrage, il est pourtant aisé pour le public de suivre le texte de l’héroïne, net et précis.
Hélas, le modèle d’articulation offert par Véronique Gens n’est pas suivi par les sopranos Chantal Santon-Jeffery et Katherine Watson. La première, qui incarne Phénice, puis Lucinde, s’échauffe pour son premier rôle, souvent couverte par l’orchestre. La portée est plus puissante ensuite mais les aigus, toujours chaleureux ou veloutés, pâtissent cependant de la diction (difficilement intelligible). Le constat est le même pour Katherine Watson, tour à tour Sidonie, Naïade et Plaisir. Le timbre est toujours chaleureux et enveloppant, mais la constance qualitative des aigus est noyée dans une diction incompréhensible, quel que soit le rôle.
Les premières voix masculines se répartissent les qualités et problèmes de diction, seul point noir d’une distribution admirée. La netteté de l’articulation revient ainsi sans conteste à Philippe-Nicolas Martin, Zachary Wilder, et à Reinoud van Mechelen qui se voit logiquement attribuer le rôle de… Renaud. S’il ponctue ses interventions d’une pointe d’accent flamand, le timbre éclatant ou fiévreux est enrichi d’aigus purs et bien tenus, s’apaisant au gré du ressenti de Renaud, et la voix n’est jamais couverte sous les nuances forte de l’orchestre.
Philippe-Nicolas Martin, au triple rôle d’Aronte, d’Artémidore et d’Ubalde, cisèle chacun de ses rôles. L’arrivée du baryton sur scène en Aronte est fiévreuse, mais les accélérations de tempo ne sont pas un obstacle à la diction. En Ubalde garde-fou du Chevalier danois, les graves sont caverneux, et le contrepoint des deux personnages est exécuté sans accroc. Zachary Wilder assure au Chevalier des aigus limpides, puis onctueux et tendres face à Lucinde. La diction du ténor est là aussi compréhensible, contrastant avec celle de Tassis Christoyannis, baryton au rôle double d’Hidraot et de la Haine. S’il conserve une puissance redoutable, des graves aussi profonds que les aigus sont bouillonnants, le rôle d’Hidraot noie l’intelligibilité sous l’orchestre. La Haine, magistrale, lui offre toutefois l’occasion d’une passion davantage compréhensible.
Un disque, enregistré à l’occasion de ce concert, dans l’acoustique rêvée de l’Arsenal, viendra consoler celles et ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à ce triomphe.