La fougueuse magicienne Simone Kermes ensorcelle la Salle Gaveau
Comme pour un opéra, le concert débute par une ouverture, celle de L’Olympiade de Vivaldi : un prélude pour les envoûtements du programme qui fait la part belle à la magicienne (par la voix comme les personnages incarnés). Simone Kermes entre ainsi en scène en Armide (la magicienne du "Furie Terribili", extrait de l’opéra Rinaldo de Händel) mais avec une robe froufroutante digne d’une Marie-Antoinette des temps modernes. Elle poursuit ses charmes en incarnant Circé, puis de magicienne elle devient bonne fée, avec une robe rose fuchsia qui n’est pas sans rappeler la marraine du Peau d’âne de Michel Legrand. Le programme enchaîne ainsi les opéras, tour à tour Vivaldi ou Händel, mais aussi Porpora (1686-1768) et Broschi (1798-1756) qui concluent chaque partie par un air brillant. Kermes montre ainsi sa grande habilité à évoluer dans des registres et des ambiances multiples, depuis le baroque et même jusqu'à Brel (comme en témoigne son troisième bis, "Ne me quitte pas"), avant un da capo baroque final bouclant la boucle : “Qual guerriero in campo armato” extrait d’Idaspe de Riccardo Broschi (1698-1756), écho au premier air, le "Furie terribili".
Si Kermes envoûte le public, sa complicité avec son ensemble instrumental d'E Amici Veneziani participe activement à la magie du concert. Malgré un début à la justesse réellement approximative et à la rythmique flottante, le premier violon Raffaele Tiseo déploie ses effets brillants, à l'image de l’engagement et de l’enthousiasme du violoncelliste Giuseppe Mulè. Dans un autre registre, l’altiste Alberto Salomon exprime sa personnalité musicale par un son chaud et ample.
Mais la véritable star du concert reste Simone Kermes. Cette dernière fait preuve d’agilité dans des vocalises perçantes, maniant les suraigus avec facilité et restant toujours très précise dans les arpèges. D'autant qu’elle les conjugue à un certain art de la grimace, donnant un côté tour à tour terrible ou léger à son chant. Dès lors, c'est paradoxalement l'intériorité d'un timbre fragile comme une porcelaine qui surprend, par sa finesse mais aussi sa chaleur, profitant des nuances pour de grands jeux de crescendo-decrescendo que soutiennent les musiciens. Kermes, l'exubérance incarnée, sait en effet aussi laisser la place à d’autres talents comme celui de Gianluca Geremia au théorbe. Il offre ainsi dans le "Dité Ohimè", extrait de La Fida Ninfa de Vivaldi, un moment hors du temps pour cette plainte malheureuse.
La performance de Kermes repose aussi sur son talent d’actrice. La chanteuse saute dans des danses enjouées, dialoguant avec l’orchestre et le public par ses mimiques complices, bien que tous ces mouvements essoufflent parfois quelque peu la ligne vocale. Les attaques restent pourtant très précises et les notes piquées dynamiques portent un vent de fraîcheur dans ce répertoire d'une exigence extrême (se mesurant à la virtuosité des castrats qui asseyaient l'agilité pyrotechnique sur un souffle immensément riche).
Comme la diva le résume : « il faut être génial ! ».