Tugan Sokhiev et l'Impérial Printemps russe du Bolchoï à la Philharmonie de Paris
C’est dans la grande salle totalement comble de la Philharmonie de Paris que Tugan Sokhiev ouvre son programme avec une cantate très rarement jouée de Sergueï Rachmaninov, Le Printemps sur un poème de Nikolaï Nekrassov. Un mari apprenant l’infidélité de sa femme rumine tout l’hiver un projet de meurtre, mais le retour du printemps le submerge et viendra l’apaiser jusqu’au pardon final. Le thème en est simple mais tragique, l'insouciance cède la place à l'inquiétude, la haine puis la rédemption finale : un résumé de l'âme slave, de son répertoire, de ce qui fait le lien avec le concert de la veille et les autres morceaux au programme.
Placé presque en arrière de l’orchestre, le baryton russe Vasily Ladyuk se fait néanmoins entendre avec netteté, rappelant même l'assurance et l'autorité du rôle-titre d'Eugène Onéguine qu'il interprétait au dernier Festival de Colmar. La voix claire et bien posée déploie des couleurs expressives, quelquefois un peu couvertes cependant par l’orchestre et les chœurs. Des Chœurs du Théâtre Bolchoï qui impressionnent comme la veille, en particulier dans les fameuses Danses polovtsiennes tirées du Prince Igor d’Alexandre Borodine (opus qui entrera au répertoire de l'Opéra de Paris la saison prochaine). Que ce soit chez les ténors à l'intense clarté slave, les basses profondes indispensables au répertoire russe, les soprani irradiantes et les contralti aux graves simplement somptueux, tous les pupitres parlent à l’unisson, passant du presque murmure de la nostalgie -danse des jeunes filles- aux explosions vocales de la danse des hommes. Le final -danse générale- ose la virtuosité absolue et presque la démesure.
Tugan Sokhiev s’emploie à survolter l’ensemble avec un sens peu commun du rythme et de la réalité de l’âme de son vaste pays. La seconde partie de concert occupée entièrement par la Symphonie n°2 en mi mineur (1908) de Sergueï Rachmaninov lui offre une heure de sentiments et d’émotions, de « main de fer dans un gant de velours ». Menant l’Orchestre du Bolchoï avec à la fois volonté et une certaine délicatesse, il obtient un son unique, rare et authentique. Une flamme et un souffle irradiant, celui-là même qui soulève -comme la veille- le public en fin de concert !
Le chef reviendra la saison prochaine à la Philharmonie de Paris à plusieurs reprises pour des concerts avec l’Orchestre de Paris, puis avec son Orchestre National du Capitole de Toulouse et enfin avec les forces du Bolchoï le 14 mars 2020 pour Mazeppa, opéra de Tchaïkovski et le lendemain, Ivan le Terrible cette fois de Sergueï Prokofiev, le tout dans le cadre d’un week-end Moscou.