La Chauve-Souris par l'Académie de l'Opéra de Paris dénonce l’horreur du nazisme, à Bobigny
La Chauve-Souris à Terezin : c’est ainsi, sans doute, qu’il aurait fallu intituler ce spectacle. Car si la musique et le livret de l’œuvre sont parfaitement respectés, l’impression générale qui se dégage (gravité, tristesse, révolte même) est aux antipodes de celle censée être véhiculée par la musique de Strauss et la prose de Genée et Haffner. Dans un long texte enregistré diffusé au début du spectacle, la metteuse en scène Célie Pauthe explique que l’opérette a été jouée par les prisonniers du camp de Terezin et que cette découverte guide sa mise en scène, l’œuvre étant mise au service de la dénonciation de l’horreur nazie. Ainsi sont longuement diffusées des images filmées du camp de Terezin avant le début du spectacle, avec toujours en arrière-plan une photographie du camp. La pause entre les actes II et III est extrêmement longue : après l’entracte, un comédien interpelle le public, puis commente des extraits du célèbre film de propagande Hitler offre une ville aux juifs, avant que ne soit interprétée la chanson « Bei Mir Bist Du Shein » (Pour moi tu es belle) dans une version particulièrement mélancolique. Si les costumes (d’Anaïs Romand) débordent de fantaisie, les décors semblent plus ou moins faits de bric et de broc, sans doute pour évoquer la nécessaire débrouillardise des artistes ayant joué l’œuvre à Terezin.
Didier Puntos a très habilement arrangé l’œuvre pour une formation chambriste (sept instruments) : le résultat est léger, incisif, même s'il perd bien sûr en velouté, en profondeur, en couleurs, notamment dans la célèbre ouverture et le finale du second acte. Les musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato défendent au mieux cette version, sous la baguette très attentionnée et précise de Fayçal Karoui, de même que le chœur Unikanti, dont certains membres interprètent également des rôles secondaires (avec notamment Nelly Toffon, Ida drôle et pleine de présence).
L’œuvre permet à Angelique Boudeville de donner libre cours au tempérament comique qu’on lui avait découvert l’an dernier lors du très beau spectacle Kurt Weill. Sa voix, chaleureuse, puissante, très homogène, présente un riche panel de couleurs et une souplesse appréciée. Elle chante au second acte une brillante czárdás (danse folklorique), d’autant plus émouvante dans sa première partie (où elle évoque la souffrance liée à l’exil) que défilent en arrière-plan les différentes nationalités des détenus du camp de Terezin.
Son époux Gabriel est incarné avec une grande aisance scénique par le baryton polonais Piotr Kumon, dont le timbre est parfois un peu nasal et la voix légèrement engorgée. Sarah Shine campe une délicieuse Adèle : sa technique aguerrie lui permet d’affronter sans difficulté les vocalises et les aigus de son personnage. La voix, en revanche semble ce soir manquer de puissance (il est vrai que la salle de la MC 93 est vaste et son plafond très haut). Maciej Kwaśnikowski incarne avec humour et aisance un ténor plus vrai que nature : ni son amante Rosalinde, ni le public ne résistent à ses aigus et son chant ensoleillé. Médium velouté, graves profonds, aigus lancés forte ou chantés piano, liaisons entre les registres soignées : Jeanne Ireland a l’exact format vocal du prince Orlovsky, dont elle interprète l’air avec le ton désabusé et un rien cynique qui convient. Les deux barytons Alexander York et Tiago Matos complètent efficacement la distribution dans les rôles du Docteur Falke et de Frank, le gardien de la prison : le premier fait entendre un timbre chaleureux (parfois un peu limité dans l’aigu), le second projette aisément sa voix claire et fait preuve d’une présence scénique pleine d’aisance et d’humour.
À noter qu’une seconde distribution joue l’œuvre en alternance. Elle est, sur le papier, pleine de promesses : Adriana Gonzales en Rosalinde (elle vient d’interpréter une Liù extrêmement remarquée à Toulon), Timothée Varon, Liubov Medvedeva, Jean-François Marras (dont l’abattage scénique et l’aisance vocale avaient séduit le public lors du gala de janvier au Palais Garnier), le toujours raffiné Danylo Matviienko, et la mezzo Farrah El Dibany en Orlovsky.