Petit pois, Proust et le Diable : Trois Contes en création mondiale à l'Opéra de Lille
Un effort louable pour enrichir le répertoire lyrique léger en œuvres brèves et qui sauront sans doute se destiner aux classes de conservatoires ou à des troupes de jeunes artistes :
Le lien entre les trois parties de l'œuvre ne s’impose pas de lui même (mais l’histoire de l’opéra regorge déjà de ces associations plus ou moins improbables). Les textes des livrets sont différents au point d'être dissemblables, en styles, époques et références : Le Manteau de Proust raconte comment -via le Docteur Guérin- divers objets ayant appartenu à Marcel Proust ont atterri au musée Carnavalet. La princesse au petit pois joue sur les célèbres ficelles du conte mais en les décalant par l'absurde (répétition de six différents scénarios possibles, grossièretés lexicales en décalage avec le statut social et l'époque), enfin ce Diable dans le beffroi reste éloigné du grinçant gothique voire inquiétant de l’univers de Poe.
Les moyens conjugués de la co-production (Lille, Rouen, Rennes, Angers-Nantes) permettent un déploiement scénographique : décors esthétiques, accessoires aux meubles somptueux, costumes très inventifs (dans le 3ème conte) maquillages et coiffures. Les artistes font montre d’un engagement artistique (tant vocal que scénique) réjouissant et mettent leur talent au service de ces trois petits contes.
La musique, dixit dans le programme la Directrice des lieux, se veut « en apparence simple mais recherchée ». À la manière d'une bande son cinématographique, l'écriture instrumentale assez discrète ponctue, caractérisant les situations par des ambiances sonores, efficaces et de temps à autre d'une bouffée lyrique. L'humour est aussi présent, en forme de gag pour les citations de Marche funèbre, ou les trois coups ouvrant la 5ème Symphonie de Beethoven, mais aussi "Toi, toi, mon toi…" en trio d'amour. Une écriture plus conventionnelle, tonale, voire à la mécanique de boites à musique exprime les situations quotidiennes communes à ces contes avant que le fantastique ne s'en mêle.
Cette grande diversité instrumentale est servie, sous la direction de son chef attitré Georges-Elie Octors, par l’Ensemble Ictus (basé à Bruxelles et spécialisé depuis 25 ans dans la musique contemporaine) dans un effectif orchestral de type "un par voix", plus claviers et percussions. Globalement, les cuivres sont très présents (et souvent tonitruants), tandis que les autres pupitres (bois et cordes, particulièrement discrètes) se fondent dans des "effets" globaux : écriture souvent bruitiste ou jouant sur des atmosphères et des contrastes expressifs pour souligner l’action (surtout dans le premier conte), prose musicale qui enrobe les récits des chanteurs avec une propension à la relative discrétion au service de la narration (dans le deuxième conte), et une écriture tonale de boite à musique ou de dessin animé qui se met à sonner comme un orphéon (troisième conte).
L’écriture vocale est une forme de déclamation réglée, variée selon les volets. D'abord récitatif, seul ou parfois à deux ou trois, au rythme de la parole déclamée et dans des ambitus restreints, avec une coquetterie : sur certaines syllabes le son se stabilise jusqu'à la voix droite, avant de poursuivre le propos. Dans le second volet, une palette plus large est utilisée, du parlé au lyrique en passant par le parlando. Le troisième volet prend enfin le parti-pris d'une mécanique, renforcée par une mise en scène qui présente la population comme des pantins vibrants : cela se ressent aussi dans la vocalité quasi toujours polyphonique (il n’y a pas d’individus) et répétitive.
Melody Louledjian possède une voix de soprano sombre au service d'une princesse brune d'un caractère contrasté (introduisant une confrontation sensuelle et presque genrée au conte). La ligne se déploie d'emblée dans sa richesse, avant de se mettre au service du parlé et de la polyphonie (en Guide de musée puis Garçon). Sachant rester discret lorsqu'il assure d'abord sa partie de serviteur dans un moment polyphonique, Jean-Gabriel Saint-Martin met sa solide voix de baryton, sonore, claire et puissante, ainsi que la projection au service de la diction dans le deuxième conte, en frère de Proust (Robert), puis se fait camarade d'assise polyphonique en Maître de maison.
Maïlys de Villoutreys présente un soprano léger, à la voix claire et à la prononciation précise. L'écriture vocale ne permet pas d'entendre les extrêmes de la tessiture ou de grands écarts dynamique, mais dans ce cadre là, elle investit son énergie d'actrice pour incarner la Princesse « blonde et candide » du premier conte, avec une voix qui tire de fait vers la "blancheur", avant de rejoindre les ensembles par des petits rôles : la Visiteuse et la Libraire (conte 2), le Garçon (conte 3).
Le ténor Enguerrand de Hys projette efficacement un volume mesuré et il incarne avec une drôlerie pince sans rire un Prince benêt dans le premier conte. Seul à rouler les "r", la prononciation contribue à caractériser un personnage qui se fait ensuite plus lyrique et quasiment émouvant, malgré une écriture récitative assez centrale qui ne permet pas le déploiement des possibles de sa voix.
Camille Merckx
(mezzo-soprano) est dotée d’une voix sombre et sonore qui lui
permet d’incarner une Reine ambiguë, perverse et vénéneuse à souhait (comme celle de
Blanche Neige chez Walt Disney). Elle laisse deviner sa maîtrise de l'intonation, des techniques et rythmes de la musique contemporaine, même dans les petits rôles
qui suivent (Secrétaire du docteur
Guérin puis Maîtresse de maison).
Marc Mauillon assume trois vrais rôles avec une voix claire de " baryténor" qui couvre les deux tessitures. La prononciation très précise et la projection vocale sont au service de l'engagement (musical et théâtral) campant un Roi fanfaron, dérisoire, cynique et pathétique, puis l'émotion du touchant et passionné Docteur Guérin. Enfin, les quelques rares interventions solistes en Gardien du beffroi se fondent dans la mécanique globale.
Jos Houben (comédien), est le narrateur du troisième conte. Pas toujours parfaitement intelligible (surtout dans les noms de localités flamandes, mais c’est aussi là un effet comique assumé), mais tout à son affaire en conteur metteur en scène (dans un joli dispositif où le conte surgit de l’énorme livre ouvert par le narrateur).
Tous, par un engagement artistique remarqué, contribuent au succès de cette soirée que le public a semble-t-il goûté, l’applaudissant comme il se doit.