Let me tell you : création française par Barbara Hannigan à la Philharmonie
Cette œuvre en trois parties (Let me tell you how it was / Let me tell you how it is / I know you are there [...] I will go out now) semble avoir été faite sur mesure pour Barbara Hannigan, soprano habituée à brûler les planches par des personnages tragiques (et déjà une Ophélie, celle de l'Hamlet composé par Brett Dean). C'est d'ailleurs le cas : Let me tell you a été créé par, pour, avec et même grâce à Barbara Hannigan qui a montré toutes les ressources de l'instrument humain au compositeur qui signait sa première composition vocale.
Seule devant cet immense orchestre berliozien (avec autant de percussions, mais plus modernes), Barbara Hannigan est l'heureux trait d'union, par son texte, grâce à sa voix et l'intensité dramatique de l'Ophélie Shakespearienne, harmonisant la très grande diversité orchestrale (ou comme le rappelle sobrement le programme : "La partition recourt à un riche panel de techniques d'écriture").
Barbara Hannigan entre sur la douceur aiguë des flûtes, s'élève très vite vers le suraigu, mais la voix toujours ample se pose sur des lames de vibraphone frottées à l'archet ou des nappes cuivrées. Le chant se renforce sur le mot strength et un appui de poitrine avec les élans du tempo, jusque vers d'immenses montées crescendo pour mieux s'adoucir, nostalgique avec des violoncelles très boisés. Le souvenir s'ouvre tel un univers comme les cordes à vide. Sur un roulement de grosse caisse et des pizzicati graves de contrebasse, le souvenir est incarné par une voix vieillie, chevrotante (procédé répété et tenu sur de longues mesures). La soprano enchaîne des postures très toniques, mais avec une cohérence du phrasé. Son Ophélie n'est pas morte noyée, elle a été illuminée et reprend en voix son destin, dans un éblouissant tutti orchestral de purs accords majeurs : "Tu m'as transformée en lumière".
La grosse caisse frotte un tissu circulaire sur son instrument tout au long de la conclusion, comme le bruit de douces vagues effaçant les pas des amants et les complexités harmoniques dans les "flocons et fleurs de neige" sur un filin de voix ondoyant. Le public hypnotisé sort de sa stupeur pour offrir un triomphe aux interprètes et au compositeur présent.
En seconde partie de la soirée (et sans que le programme ne prenne la peine d'expliquer le lien), l'altiste Antoine Tamestit chemine jusqu'aux hauteurs de la salle pour interpréter Harold en Italie d'Hector Berlioz.