Opéra-marionnettes : Orphée et Eurydice pour toute la famille à l'Opéra Comique
L'opéra en marionnettes peut surprendre au premier abord, ce concept a des précédents au siècle des Lumières, qui était épris d’automates : Gluck lui-même a composé pour des marionnettes, ainsi que Haydn, et la tradition perdure aujourd’hui en Autriche (au Salzburger Marionettentheater). La France du XVIIIe siècle aimait les parodies d’opéra prenant pour cible les grandes œuvres de l’époque, afin de rendre la culture académique accessible et divertissante. En 1722, la Comédie-Française se retrouvant concurrencée par les théâtres non officiels de la Foire, réussit à faire interdire les acteurs. Mais les forains décident de jouer leurs parodies avec des marionnettes.
La Petite balade aux Enfers s’inscrit à cet égard dans cette continuité historique, mais Valérie Lesort propose une double rupture : d’une part, en s’adressant par priorité à de jeunes enfants, d’autre part, en inventant un ingénieux dispositif hybride. Au lieu de dissimuler les cantatrices, elle fait apparaître leur tête, à laquelle s’accroche une poupée de latex qui fait le corps : d’où des effets comiques de déformation et de changement d’échelle.
Bien entendu, le livret a été resserré et seuls ont été conservés les airs principaux. Sur leur petit théâtre miniature, qu’encadrent à gauche le piano de Marine Thoreau La Salle et à droite les douze choristes tout de noir vêtus de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, les trois solistes s’amusent beaucoup dans cet exercice inaccoutumé, et plus difficile qu’il ne semble : il faut quelque habileté pour chanter tout en maniant les fils, ou en jouant avec deux marionnettes dans chaque main. Il faut aussi appuyer la diction, pour rendre les airs plus intelligibles. Très à l’aise dans le parlé comme dans le chanté, la mezzo-soprano Marie Lenormand incarne un Orphée savoureux et déploie une voix, ronde, expressive et bien vibrée. Son lamento en solo près du tombeau de la défunte (J’ai perdu mon Eurydice) est particulièrement poignant, subtilement modulé dans le crescendo. En bonne comédienne, elle sait rire aussi et s’adapter à son public juvénile. La soprano Judith Fa, en perruque blonde et costume de princesse, est une Eurydice gracieuse, au timbre rayonnant, à la voix solide et clairement projetée, qui fait alterner avec brio le tragique et le comique, notamment lors de sa scène de ménage avec Orphée (« Pourquoi tu ne me regardes pas ? J’ai grossi ? On mange si mal au Royaume des Morts, et c’est pas bon pour le teint ! »). Remarquable aussi est son duo final avec Marie Lenormand, aux chatoyantes couleurs et aux vocalises bien liées. Quant à la jeune et vivace Marie-Victoire Colin, elle prête sa voix fraîche et prometteuse à un charmant Amour (grâce à des aigus faciles mais avec encore un peu de souffle dans la voix), que ses ailes papillonnantes font léviter.
À la poésie lyrique s’ajoute la féerie visuelle : monstres curieux et farfelus, oiseaux à bec énorme et cou démesuré, trognes clownesques, chien à deux têtes, bestioles poilues aux couleurs vives. Ces peluches qui semblent tout droit sorties sorties d’un magasin de jouets s’animent lors d’intermèdes burlesques, entre les tableaux chantés. Dans cette esthétique bigarrée, la culture populaire a la part belle, notamment la bande-dessinée (le personnage de Zeus dans Les petits Mythos) ou le Muppet Show (Valérie Lesort a commencé sa carrière aux Guignols de l’Info). Ce spectacle d’une petite heure, bien rythmé, est servi par les effets de voix de Christian Hecq (sociétaire de la Comédie-Française) et par de belles trouvailles scénographiques : évaporation d’Eurydice dans la fumée, ventriloquie hilarante, tunnel de la remontée des Enfers avec la pierre énorme qui dévale sur les personnages, entre autres.
La légendaire lyre d’Orphée a tous les pouvoirs : « Faire danser les montagnes, calmer les flots de la mer déchaînée, ensorceler des soldats, faire cesser des guerres, charmer les créatures infernales » et assurément captiver les (petits) enfants.