Le Crépuscule des Dieux, dernière journée du Ring à Genève
Dieter Dorn et Jürgen Rose, s’inscrivant dans l’exacte continuité des épisodes précédents, donnent du Crépuscule une vision assez traditionnelle, très attentive, mais sage et moins développée que pour les épisodes précédents. Seul le palais des Gibichungs où règne le Roi Gunther auprès de sa sœur Gutrune et de son demi-frère Hagen, fils d’Alberich et traître absolu, vient naturellement marquer une certaine rupture dans le propos : un parallélépipède d’un blanc immaculé abrite la cour tandis que des masques des dieux antiques délimitent les alentours.
Mais tant le prologue voyant la séparation de Brünnhilde et de Siegfried appelé vers d’autres exploits, que l’embrasement final du rocher restent loin de la grandeur et d’un héroïsme pleinement convaincant. Le travail scénique commun de Dieter Dorn et Jürgen Rose s’avère donc marqué, sur l’ensemble de ce Ring, par un respect des exigences de Richard Wagner, dénué de pointe d’actualisation. Un choix qui semble visiblement satisfaire et séduire le public présent, par la clarté de son professionnalisme.
Michael Weinius poursuit son parcours remarqué dans le rôle de Siegfried. Sans être totalement un heldentenor (ténor héroïque), il en possède assurément le souffle et l’endurance. Toujours très attentif à ne pas brusquer la ligne vocale, capable de nuances, Michael Weinius passe aisément les écueils d’un rôle particulièrement ardu et redoutable. Petra Lang fait valoir en Brünnhhilde les mêmes qualités et les mêmes défauts que ceux déjà évoqués lors des deux épisodes précédents. La voix conserve toute sa projection avec toutefois un manque de continuité dans les registres, des aigus soit souverains, soit fort incertains, un médium plutôt assourdi, un legato en peine. L’artiste habite cependant son personnage avec passion et une aisance scénique évidente, notamment lors de la grande confrontation avec sa sœur, Waltraute. Michelle Breedt offre sa voix de mezzo riche et relativement bien projetée à ce dernier rôle. Tom Fox retrouve son incarnation remarquée d’Alberich face au Hagen de Jeremy Milner. Cette jeune basse américaine force quelque peu des moyens pourtant fort estimables, cherchant à assombrir un matériau restant clair de nature.
Le baryton Mark Stone campe un Gunther solide et fort musical et Agneta Eichenholz, après Freia dans L’Or du Rhin, une Gutrune vocalement agréable mais aux moyens un peu légers cependant. Polina Pastirchak, Carine Séchaye et Ahlima Mhamdi retrouvent les Filles du Rhin, bien plus en mesure que dans le premier opus de la Tétralogie. Les trois Nornes sont absolument impeccables et d’une belle puissance expressive : Wiebke Lehmkuhl après avoir interprété Erda et aux graves profonds, Roswitha Christina Müller, voix de mezzo bien timbrée et Karen Foster au soprano épanoui.
Georg Fritzsch élargit et intensifie encore sa direction musicale pour Le Crépuscule, notamment durant le fameux Voyage de Siegfried sur le Rhin qu’il traduit avec opulence et énergie. De même, pour la scène finale où il seconde avec force une Petra Lang, un peu réservée d’abord, puis se libérant pleinement, portée par un Orchestre de la Suisse Romande qui reprend toutes ses couleurs. Le Chœur du Grand Théâtre, dirigé par Alan Woodbridge, excelle en se montrant à la hauteur des difficultés de ce répertoire.