Vent d'Est sur l'Opéra de Limoges : l'exil au foyer
Le programme se découpe en trois groupes : trois Russes connus (Rachmaninov, Prokofiev et Schnittke) trois Russes à découvrir (Michaïl Ippolitov-Ivanov, Viktor Kosenko, Rodion Shchedrin) et quatre non-russes : Saint-Saëns, Liszt, Henry Clough-Leighter (américain), et Victor Herbert (anglo-allemand). Cela étant, la hantise de l’exil, poignante, repose ici sur l'interprétation car, à une exception près, aucune de ces compositions n’a vu le jour en exil. Les opus slaves datent d'avant l'exil ou bien sont composés dans la mère patrie (que certains n'ont jamais quittée). Le seul "exilé" est Victor Herbert, encore qu'il s'agisse d'un anglo-allemand vivant à New York. L'exil perceptible dans ces œuvres est un exil esthétique : elles ont en commun la nostalgie d'une époque musicale antérieure, romantique ou baroque/classique, elles sont mélodiques et tonales, soit parce que destinées à Broadway, soit exprimant un refus de la modernité ou devant se conformer à la doctrine esthétique de Staline.
La soprano dramatique Natalia Polikarpova jouit d’une voix claire, riche et étincelante, fermement appuyée, à la mesure d’un grand théâtre et qui demanderait un accompagnement orchestral. Les consonnes sont anticipées et prolongées pour en renforcer encore la projection. Le son rebondit dans ce foyer, au point de créer des interférences. Les mélodies sont chantées avec délicatesse, flûtées et résonnant avec le fin exotisme du violon. La ligne se déploie dans une conduite de voix vers des aigus rayonnant bientôt amplement, puis davantage encore. Les graves n'en conservent pas moins un ancrage de contralto, portant vers des sommets massifs : une épaisseur vocale inhabituelle pour les chansons d’opérette au fort accent slave, mais assumé dans une certaine ironie, volontaire et charmante.
À l'inverse, l'accompagnement témoigne d'un manque de préparation déconcertant, le violoniste (Grygorii Kuperman) se perdant dans ses partitions, l'archet naviguant à travers la hauteur des cordes, dans une justesse et des nuances approximatives (surtout forte). Les pièces exigent une virtuosité frénétique, qui met aussi à la peine la pianiste (Diana Gendelman qui doit certes jouer sur un instrument en piteux état, désaccordé et épais). Dès lors, c'est l'accompagnement de la chanteuse, les souples phrasés mélancoliques et la légèreté populaire qui les retrouve plus à l'aise.
Les familles emplissant le foyer du public répondent avec beaucoup d’enthousiasme à ces redécouvertes du répertoire.