Admirable Plantade à Versailles
Les œuvres oubliées ou délaissées, redonnées voire ressuscitées au concert ont le mérite de susciter l'intérêt de la (re)découverte, mais certaines y adjoignent -grâce à leur qualité- un plaisir d'autant plus privilégié qu'il est précieux. Quelques-unes, enfin, aussi rares que leur exécution, mènent à se demander si l'histoire n'a pas injustement laissé de côté un chef-d'œuvre : une question légitime pour ce Requiem de Plantade, a fortiori dans l'interprétation par Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet en la Chapelle Royale de Versailles. La raison de cet oubli tient peut-être à la déchéance du compositeur Charles-Henri Plantade (1764-1839), qui fut toute sa vie un artiste officiel sachant traverser tous les régimes sans perdre la tête. Formé à l'école des pages de la musique du Roi Louis XV, traversant la Révolution en composant des chansons, professeur de chant au conservatoire, Directeur de la musique du Roi des Pays-Bas en s'attachant à sa femme, belle-fille de Napoléon. Chef de chant à l'Opéra de Paris, décoré de la Légion d'honneur par l'Empire, il est acclamé par la Restauration monarchique avec ses œuvres religieuses : musique du sacre de Charles X, Requiem pour Saint-Denis ainsi que cette Messe des morts en ré mineur pour chœur et orchestre, jouée à la Chapelle des Tuileries pour les trente ans de la mort de Marie-Antoinette.
À l'image de Marie-Antoinette montant à l’échafaud et guillotinée, de fines lignes orchestrales montent, se tuilent entre instruments et voix, vers des coups de gong avant de choir tout en douceur. Les coups de poignard du chef, de guillotine de l'orchestre, l'enfer de cuivres et de voix graves aux couleurs de Sabbat est racheté dans la gloire Divine (des harmonies et des paroles latines du Requiem). La musique illustre ainsi les faits mais aussi les émotions, la terreur s'exprimant dans le cadre d'une noblesse musicale qui annonce déjà une rédemption. Dans l'ensemble, les mouvements assez courts s'enchaînent surtout par une douceur élégiaque, celle des cordes et des cordes vocales très liées et très justes, les choristes masculins croissant en douceur à mesure de la soirée et des notes graves, tandis que leurs collègues féminines s'harmonisent en unissons. L'ensemble des voix est particulièrement remarqué sur "Hosanna", seule succession répandue de vocalises pointées et de legato, accélérant au rythme des intenses et audibles fulminations d'Hervé Niquet.
Entre les deux compositeurs officiels au programme, Berlioz fait office de transition pertinente, par la douce beauté de sa Méditation religieuse, mais aussi car cet artiste essaya toute sa vie d'être également reconnu par les différents Régimes, trouvant notamment maille à partir avec son professeur du Conservatoire, Luigi Cherubini.
Le Requiem en ut mineur pour chœur et orchestre À la mémoire de Louis XVI composé par Luigi Cherubini (1760-1842) poursuit dans un grondement de percussions et de cuivres, célébrant le deuil et la gloire, manifestant une maîtrise technique classique et impeccable (à commencer par la montée croissante des accents et longueurs de pieds rythmiques). La douceur des consonnes sifflantes et chuintantes se conserve dans les envolées lyriques, les lignes et plans sonores demeurent équilibrés.
Autant d'occasions offertes au recueillement et à la réjouissance, saluées par des acclamations du public, qui compte entre autres dans ses rangs Shirley et Dino, venus rendre un hommage appuyé à leur complice Hervé Niquet : après avoir fait des barbecues dans l'Opéra Royal, ils s'apprêtent (peut-être) à y manger des cuisses de grenouille.