Annette Dasch à la Philharmonie : voyage poétique dans la Vienne d’avant-guerre
Ce
programme réaffirme la
poésie des Lieder,
en
faisant la part belle au texte et à l’écriture, tout en jouant
avec les langues et leurs sonorités. Il commence ainsi par
Shakespeare, My
Mistress’Eyes et
des Lieder
mis
en musique par Korngold (un
auteur et un compositeur très récemment à l'honneur de nos pages).
Le français est aussi mis à l’honneur avec les Six
Sonnets de Louise Labé par
Viktor Ullmann
et un Lied
d’Hans
Eisler
sur le poème Bonne pensée du matin de Rimbaud (Eisler
qui
retrouve également Brecht,
avant
que Berg
ne
se penche sur Rilke).
Enfin,
si l’inspiration
de
Gustav Mahler chez
différents auteurs paraît
moins directement liée à la forme
littéraire
et
poétique,
le jeu sur le langage et les mots conclut
le récital sur une note aussi singulière qu’amusante.
Le déroulement du récital suit cependant une logique politique croisée. En effet, l’autrichien exilé à Hollywood Korngold précède un autre compositeur de musique de films, Eisler, communiste engagé et chassé des États-Unis par le maccarthysme. Berg vient alors comme représentant d’une avant-garde viennoise multiculturelle, bien que marquée par la guerre. Ullmann sera gazé à Auschwitz en 1944. Mahler conclut alors le programme comme lien constant entre Europe et États-Unis, lien qui semble aussi unir ces compositeurs, entre traditions et modernité. Le bis, Youkali, composé par Kurt Weill, est alors la métaphore de cet état rêvé durant la tourmente politique, les paroles ayant été rajoutées en 1935, un État qui pourrait être celui de la musique et de ses émotions.
Ce programme d’une grande densité intellectuelle et émotionnelle est soutenu par la prestation d'Annette Dasch, malgré parfois une ligne vocale moins limpide (due à la difficulté du texte, en particulier pour les Sonnets de Louise Labé). Engagée dans ses rôles, notamment dans les pièces du Cor merveilleux de l’enfant, elle convoque son habitude de l'opéra pour révéler ses qualités de comédienne, pimentant l'exercice parfois un peu statique du Lied. La technique vocale est surtout notable dans l'endurance des aigus. Elle manie également le souffle et la richesse des harmoniques pour un caractère plus sensuel, ample et chaud sur une voix de velours. Voix qui n’hésite pas à jongler entre tonalités jazzy et traditionnelles, elle se fait tour à tour flûtée ou perçante, tout en restant toujours très pénétrante. L’une des grandes qualités d’Annette Dash reste enfin un grand naturel qui montre son agilité, preuve d’une grande technique.
Le talent du pianiste Wolfram Rieger consiste à rester discret, tout en mettant en valeur la soprano, sans se priver de laisser échapper quelques dissonances et folies qui révèlent un caractère facétieux, mais toujours très efficace.
La soirée peut ainsi surprendre avec son mélange de pièces « entendues un dimanche après-midi dans un salon mondain » avec d'autres plus novatrices et provocantes, mais le bis offre une invitation assurée à la liberté.