Une Messe en si à la croisée des voix avec David Stern à la Philharmonie
Compagnie lyrique à l’orchestre éponyme (sur instruments d'époque) menés par David Stern, l'Opera Fuoco accompagne trois jeunes voix de la troupe 2017-2019 (Theodora Raftis, Alexia Macbeth, Andrés Agudelo) sur la scène de la Cité de la Musique pour défendre la Messe en si de Jean-Sébastien Bach aux côtés d'Andreas Scholl et de Laurent Naouri. Le Tölzer Knabenchor, chœur exclusivement masculin composé d’enfants (pour les parties de mezzos et de sopranos) et d’adultes (ténors et basses) captive l’oreille dès les premiers accords du Kyrie de par l’originalité du son émanent de cet effectif restreint. Les aigus, aux teintes juvéniles, surprennent par leur rondeur et leur émission toujours contenue, et dont les cordes au tempérament baroque offrent des doublures dans une même intention. Si les voix d’enfants sont parfois timides au début du spectacle, avec des fins de phrases coupées dont pâtissent les dernières syllabes, elles gagnent progressivement en énergie et en puissance au fil du spectacle, sans jamais se crisper ou s’égosiller dans des fortissimi poussés (Osanna in excelsis). Les passages rapides les mettent cependant parfois en difficulté, avec des vocalises hachées (le Gloria). Les pupitres adultes montrent une oreille attentive, s’adaptant à la puissance sonore déployée par les enfants et construisant un matériau sonore avec un souci d’homogénéité (la fugue du Kyrie Eleison). Si l’interprétation paraît parfois manquer de relief et d’amplitude en termes de nuances, elle résonne avec un sens de la dramaturgie qui, impulsé par le chef d’orchestre, trouve un écho réussi dans ces voix alliées à un Opera Fuoco aux gestes précis, au continuo bien rythmé sans être rigide mais laissant paraître à plusieurs reprises des décalages avec le chœur (parfois redoutables sur des staccati : piqués).
Le choix des solistes est apprécié, montrant jeunes voix comme artistes de renom, dont les associations en duo épars lors du concert forment des combinaisons et un relief seyants. La soprano chypriote Theodora Raftis séduit d’une voix fraîche et fruitée, douce en timbre, très agile et ondulant allègrement dans des aigus limpides. La conduite des lignes est soignée, mais pourrait gagner en amplitude. La mezzo-soprano Alexia Macbeth montre un beau timbre avec de riches médiums et des aigus sopranisants mais sa voix peut gagner en caractère. L’attention à la justesse des lignes se paye parfois d’une articulation moins évidente, avec des sauts de larges intervalles parfois difficiles. À leur côté, le ténor colombien Andrés Agudelo (présent en Duc de Mantoue lors du dernier Festival de Verbier) s’offre projection et grande prestance, sur scène comme dans la voix, avec maturité. Les médiums chaleureux, légèrement feutrés, s’associent à des aigus parfois lyriques et exaltés qui dévoilent un brillant impressionnant. L’attention au phrasé est supérieure et le ténor file ses lignes d’un souffle continu jusqu’en d’imperceptibles pianissimi (Benedictus qui venit).
Face à eux, Andreas Scholl et Laurent Naouri sont acclamés. Puissante et homogène sur toute la tessiture (avec ce fameux timbre de mezzo-soprano qui le caractérise), la voix du contre-ténor se fait très expressive sans tomber dans le maniérisme. Le legato est assuré en toute circonstance, jusqu’aux périlleux sauts d’intervalles. Le clou du spectacle vient avec l'Agnus Dei lancé forte sur la première syllabe, telle une interpellation au lointain, avant de n’être que limpidité (y compris dans la diction) et clarté.
À l’autre extrémité de la tessiture et d’une voix très poitrinée, Laurent Naouri s’empare avec brio des graves caverneux mobilisés pour l’aria Quoniam tu solus sanctus. Les médiums ne sont pas en reste, Et in Spiritum Sanctum laissant apparaître des notes soyeuses à la projection large, confiante dans les tenues comme dans les longues lignes menées de bout en bout sans faille.
Après ce spectacle dont l’intention louable est de confronter sur scène de jeunes voix aux côtés de chanteurs expérimentés, prochaine Messe en si à la Philharmonie le 24 mai 2019 avec Raphaël Pichon, l’Ensemble Pygmalion et un équipage flamboyant : Joanne Lunn, Lea Desandre, Lucile Richardot, Emiliano Gonzalez Toro et Thomas E. Bauer. Vous pouvez également réserver vos places pour les admirer à Versailles.