Standing ovation pour Nadine Sierra au Théâtre des Champs-Élysées
Jeune encore (tout juste 30 ans), la soprano Nadine Sierra occupe une place de plus en plus importante sur les scènes lyriques internationales. Paris a pu déjà l’applaudir notamment dans deux de ses rôles actuels majeurs, Gilda du Rigoletto de Verdi et Norina du Don Pasquale de Donizetti. Ce premier récital parisien était de fait fort attendu.
Belle et rayonnante en robe lamée or, Nadine Sierra ose d’emblée beaucoup, déployant un chant énergique, virtuose voire éclatant, s’appuyant sur une tenue du souffle profondément assurée et qui semble inépuisable, un aigu et un suraigu idéalement placés. Toutes ces qualités fondent son interprétation de la valse d’entrée de Juliette Ah, je veux vivre dans un rêve du Roméo et Juliette de Gounod, archétype de l’air à vocalises du répertoire français. Malheureusement, l’air du Cours la Reine et la gavotte de Manon (Massenet), pourtant inscrits au programme, ne sont pas interprétés : il faudra attendre sa prise du rôle de Manon prévue à l’Opéra de Bordeaux en avril prochain pour mesurer ses affinités avec ce répertoire, jusqu’ici peu abordé.
Avec l’Air de Norina (Don Pasquale de Donizetti), Quel guardo il cavaliere, le succès de Nadine Sierra paraît assuré, tant ses facilités et son assurance font ici merveille. Tour à tour mutine ou démonstrative, elle donne assurément beaucoup de caractère au personnage. La voix au timbre prenant a décidément gagné en ambitus et en largeur, emplissant la vaste salle des Champs-Élysées avec une facilité déconcertante. Il est à noter toutefois une propension à accentuer certaines voyelles en fin de phrase surtout, à tenir un aigu bien au-delà des indications de la partition, privilégiant le côté démonstratif du morceau. Le trille reste par ailleurs à pleinement maîtriser. La voix de Nadine Sierra se rattache plus à un grand soprano lyrique malgré ses évidentes qualités belcantistes.
Les deux airs extraits de Lucia di Lammermoor, Regnava nel silenzio puis la grande scène de la folie lui permettent de subjuguer le public et de le mettre pleinement à ses pieds. Mais au sein de ce chant brillant et accrocheur, à la technique presque souveraine, l’auditeur peine à discerner les palpitations du cœur, l’émotion première. L’artiste pour autant les possède et le prouve avec les deux bis concédés : l’incontournable air de Lauretta O mio babbino caro extrait du Gianni Schicchi de Puccini et l’air de Gilda Caro Nome du Rigoletto de Verdi que Nadine Sierra maîtrise à la perfection jusque dans ses abîmes.
Sortant des sentiers attendus, cette dernière interprète par ailleurs le bouillonnant A Julia de Burgos, troisième mélodie pour orchestre du cycle composé au milieu des années 70 par Leonard Bernstein et intitulé Songfest, superbe hommage à la poésie américaine. Le tempérament de Nadine Sierra s’y révèle avec force et se trouve encore accentué dans un extrait de la Zarzuela de Geronimo Giménez, El barbero de Sevilla. La scène et la polonaise d’Elena, Me llaman la primerosa se grisent de fièvres voluptueuses et du puissant soleil sévillan.
L’Orchestre de l’Opéra de Limoges dirigé par son chef Robert Tuohy se met pleinement au service de la cantatrice et le plaisir de se produire ensemble s’avère manifeste. La flûte solo de Chloé Noblecourt soutient de façon idéale et lumineuse les vocalises de l’air de la folie. Parmi les morceaux de musique seule, outre l’ouverture enflammée de West Side Story (Robert Tuohy vient de diriger avec un vif succès Candide du même Berstein à l’Opéra de Marseille puis en version concert au Théâtre des Champs-Élysées), une autre ouverture trop rare, celle vive et enjouée des Joyeuses Commères de Windsor d’Otto Nicolai, démontre l’excellence de l’orchestre et de ses différents pupitres.
Ce concert est programmé à l’identique à l’Auditorium de l’Opéra de Bordeaux le samedi 19 janvier prochain. Il serait dommage de manquer cette rencontre avec une artiste qui brille ainsi de mille feux.