Orphée aux Enfers diablement pétillant avec Julie Fuchs
Avec Orphée aux Enfers, l’Opéra Grand Avignon participe en avance aux festivités du bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach. La mise en scène enlevée de Nadine Duffaut présente l’intrigue dans un décor de hauts panneaux de bois colorés. Les devantures de magasins (charcuterie, salon de coiffure, luthier) et la liesse populaire qui caractérisent le paysage urbain du premier tableau précèdent la demeure de Jupiter et les Enfers où le rouge prédomine. Les procédés comiques et les références à la culture populaire se succèdent au fil de l’intrigue. C’est le cas dans la sédition de l’acte I, où les écriteaux tenus par les révoltés se réfèrent à un sketch de Bourvil (« L’eau ferrugineuse non ! L’alcool oui ! »). Plus tard, sur le « Vive le vin, vive Pluton » de l’acte II, des personnages historiques (César, Cléopâtre, Elvis Presley) et des figures de l’enfance (Alice au pays des merveilles, Robin des bois, Pocahontas) se mêlent sous les yeux du public. Les danseurs, habillés en rockeurs ou en tenue de cabaret pour un french cancan endiablé (chorégraphie d’Éric Belaud), accentuent le caractère léger et pétillant de l’opéra-bouffe. Les interventions parlées et chantées des nombreux personnages, habillés dans des costumes de la première moitié du XXe siècle (Katia Duflot), se succèdent sur cette scène colorée en perpétuel mouvement. Après une ouverture fougueuse jouée avec raffinement par l’orchestre, l’Opinion publique interprétée par la mezzo-soprano Sarah Laulan vêtue de rose se présente au public avignonnais, avec une voix ample et profonde.
En Eurydice, la soprano Julie Fuchs charme de sa voix claire et puissante. Si elle interprète son rôle avec éclat, elle maîtrise également son chant avec grâce. Capricieuse, déterminée ou ironique, la chanteuse vocalise avec habileté et projette des aigus bien placés. Fuchs développe un esprit caustique avec Orphée, qui tente de l’apaiser en retour par un air de violon. Le timbre clair et éclatant du ténor Samy Camps, dans le rôle d’Orphée, s’associe à un jeu scénique pertinent. Eurydice râle également en présence de John Styx, interprété par le ténor Jacques Lemaire qui, avec son accent anglais, conduit sa ligne vocale avec aisance dans l’air "Quand j’étais roi de Béotie". Dans le fameux duo de la mouche, Fuchs modifie sa palette vocale avec finesse et vivifie les sons tenus. Son timbre s’associe intelligemment à la voix harmonieuse du baryton Francis Dudziak, dans le rôle de Jupiter. Ce dernier, arrogant et perfide à souhait, se joue de son épouse Junon, la mezzo-soprano Jeanne-Marie Lévy, qui excelle dans ses crises de jalousie, offrant une voix généreuse dans ses parties chantées.
Conseiller de Jupiter, le rusé Cupidon, interprété par la soprano Amélie Robins, chante avec une voix agile au timbre lumineux. Jupiter n’est pas épargné par Diane et Vénus, les sopranos Caroline Géa et Caroline Mutel, qui chantent leurs airs moqueurs avec de larges voix et un vibrato maîtrisé. Cette assemblée divine est complétée par Minerve, la soprano Raphaèle Andrieu, Mercure et Mars, le ténor Éric Vignau et le baryton Alain Iltis, qui s’investissent chacun dans leur rôle avec énergie.
Dans le double rôle de Pluton et Aristée, la voix ample et sonore de Florian Laconi est émise au service d’un jeu théâtral convaincant, coloré tout en préservant la diction de "Moi je suis Aristée".
L’Orchestre Régional Avignon-Provence, sous la direction de Dominique Trottein, offre une prestation efficace et assurée, malgré quelques décalages avec le chœur. Les instrumentistes rendent hommage à l’écriture soignée d’Offenbach dans les tutti comme dans les soli des cuivres et des instruments à vent. La violoniste Sophie Saint Bernard joue ses parties solistes avec éclat, aussi bien depuis la scène (concerto d’Orphée, acte I) que de la fosse (acte II). Si l’ensemble du Chœur de l’Opéra Grand Avignon répond avec réactivité aux solistes et soigne le final des tableaux, celui des hommes seuls dans le second acte est particulièrement placé.
L’enthousiasme et les chaleureux applaudissements qui accompagnent les saluts minutieusement réglés de cette distribution avignonnaise témoignent de l’adhésion du public pour ce spectacle de fin d’année.