Le Barbier de Séville à Toulon, 7ème art dans le Var
Encore ?! Cinq jours après la grève surprise à l'Opéra de Marseille et la scène surréaliste de techniciens occupant le plateau pendant la représentation, l'image d'ouvriers en salopettes de travail déjà présents et restant sur le plateau de Toulon aurait d'abord de quoi inquiéter. Heureusement, tout est ici voulu par cette mise en scène : un plateau de cinéma italien où l'on tourne pour film "Le Barbier de Séville". L'ensemble fait de panneaux mobiles recompose facilement des espaces, ce qui lui a même permis de s'adapter à l'immensité des Chorégraphies d'Orange l'été dernier !
La scénographie montre ainsi le film en train de s'élaborer : entre deux prises, les techniciens font les retouches de dernière minute, manipulent la perche-micro, la caméra, les projecteurs (aussi utiles pour représenter un studio de cinéma que pour éclairer cet opéra). Une voix en salle annonce "Moteur, Action !" avant un coup de "Clap ! Acte 1, scène 1". "Coupez" annonce les fins de séquences (qui regroupent plusieurs scènes pour que le procédé n'entrecoupe pas le rythme musical). Entre deux tifosi de la Juventus de Turin et un centurion romain, les choristes sortent en costumes de figurants avec instruments de fanfare depuis une minuscule voiture (gag de cirque bien connu), ils continuent de faire vivre le plateau entre les prises, buvant le café et lisant le journal, se préparant à côté des panneaux étayés du décor en carton-pâte. Scéniquement impliqués et appliqués, vocalement justes et sonores, ils sont toutefois un peu en retard sur le tempo pourtant retenu.
Cette version rend surtout hommage à la Cinecittà dans sa période années 1960 mais elle mélange allègrement les époques (l'un parle de menuet pendant que l'autre danse un twist endiablé et qu'un troisième chante le tube pop "Che confusione Sarà perché ti amo") et les esthétiques, tirant vers le soap opera voire même l'humour graveleux (les personnages repoussent Basilio en lui jetant des rouleaux de papier toilette et en se pinçant le nez, avant un bruit de chasse d'eau). L'ouverture est un film muet avec son générique présentant les personnages dans des poses typiques de l'époque noir et blanc. Encore plus impressionnant, les chanteurs offrent vers la fin de l'œuvre une séance de doublage en direct, lisant leur récitatif sur une bande défilante (lorsque le texte passe sur la marque rouge), pour le synchroniser avec une vidéo sans son. D'autres passages abandonnent soudain le tournage pour revenir au théâtre, l'action se poursuivant pendant des changements de décors à vue. D'autres vidéos modernes en haute résolution, ralenties et nimbées rajoutent au mélange des genres en illustrant les rêves des personnages, avant une vidéo de plage et le générique de fin citant les employés toulonnais derrière un banquet avec spaghetti et paparazzi.
Jurjen Hempel (directeur musical des lieux depuis septembre dernier) propose une version étonnamment lente de la partition, pensant Le Barbier comme un très long métrage mais certes cadencé. L'Orchestre montre ainsi sa précision et une belle étoffe, ménage de légers crescendi sans perdre du rebondi rossinien. Heureusement, la lenteur du tempo ne met pas en difficulté les interprètes, à commencer par la
Rosina de Ginger Costa-Jackson dont le souffle long tient à l'envi une fin de phrasé amplement vibrée (disparaissant toutefois dans les ensembles). Le rythme alangui renforce l'ample assise de ses graves, avant qu'elle ne monte par des vocalises comiques, vers un aigu droit comme le rouleau à pâtisserie qu'elle brandit alors ! Jamais dans le pétrin vocal et bonne pâte pour le jeu scénique, elle propulse le résultat de sa préparation culinaire (sans doute des pâtes) avec ses aigus.
Le Comte Almaviva de Juan José de León est un ténor solaire et appuyé, arrondi en fin de phrase et à peine serré dans un aigu fermement couvert, le tout balayé par un vibrato rapide (effet garanti dans les sérénades accompagnées à la guitare). Son déguisement en maître de musique est exagérément maniéré et coiffé d'une des nombreuses perruques puisées dans l'inventaire de son Barbier. Il conserve toutefois ses douces inflexions sur les passages mineurs, dans un ensemble de lignes un peu heurtées par des accents marqués. Il glisse aussi sur les échelles vocales (heureusement pas sur celle qui le mène au balcon de Rosina).
Figaro entre sur un scooter typiquement italien (avec un décor défilant derrière en vidéo). Vincenzo Nizzardo conserve cependant une certaine distance et retenue à l'image de sa voix. Le placement est cotonneux, le timbre sombre mais appuyé sur tout l'ambitus, y compris un aigu coloré. Pablo Ruiz (déjà apprécié en Bartolo dans la jeune distribution du TCE mise en scène par Laurent Pelly) offre un timbre net comme sa prosodie et son jeu d'acteur qui n'exagère jamais ce personnage dupé.
L'Air de la basse calomnie chanté par Basilio (Ivo Stanchev) est toujours aussi apprécié dans cet ouvrage, d'autant plus qu'il permet ici de relancer le tempo avec un interprète alerte et point trop ronflant. Énergique et pressée jouant l'inquiétude de Berta, l'aria de Dima Bawab est bien troussée, comme sa robe de servante par Fiorillo. Elle culmine vers un suraigu court mais juste.
Mathieu Gardon a tenu le rôle de Figaro dans une impressionnante tournée du Barbier tout public passé par Rouen, le TCE, Marseille, Avignon et dans ce même Opéra de Toulon quelques jours avant cette version où il incarne Fiorillo d'une voix un peu tremblante, ronde et appliquée notamment concernant l'articulation (appréciable dans les récitatifs).
Un spectacle qui promet de refermer l'année en beauté jusqu'à sa troisième et dernière représentation le soir du Réveillon.
FINE