Anna Caterina Antonacci, mélancolique récital d’hiver à La Monnaie
Accompagnée au piano par Donald Sulzen, la soprano chante les œuvres de mélodistes post-romantiques du XXème siècle : Ottorino Respighi, Giuseppe Martucci, Nadia Boulanger et Ernest Chausson. Un récital en quête d’un état sensuel et mystérieux à contre-temps de la production survoltée du moment, Don Pasquale.
Alors que Bruxelles l’avait accueillie l'année dernière à Bozar pour La Voix humaine de Poulenc, c’est dans un registre plus intime que s’offre ici Anna Caterina Antonacci. Ses interprétations savent incarner chaque rôle de tragédienne en dépassant les difficultés vocales. La première partie pour voix et piano commence par le virtuose Ottorino Respighi, avec les riches couleurs du cycle Deità silvane. Les courants s'y mêlent : le renouveau romantique de la musique s'appuie sur les poèmes expressionnistes d’Antonio Rubino. Entre peinture et musique, la voix d’Anna Caterina Antonacci mélange les sens dans cet univers mystérieux. Solennelle, le regard plongé vers le lointain, sa voix ferme déploie de puissants aigus. Dessinée, la prosodie italienne raisonne particulièrement avec Musica in Horto (Musique dans le jardin, seconde mélodie du cycle), piquée, vive et acérée. Les images fleurissent ainsi, la chanteuse restant happée par l’histoire qu’elle raconte malgré les subtilités harmoniques et les surprises mélodiques.
La douceur s’accroît même avec La Canzone dei Ricordi de Giuseppe Martucci. Moins dans la déclamation, le chant semble rester suspendu dans un intime qui tend vers le silence. La voix ondule pourtant dans les aigus, pleurant la Fior di viola (fleur de violette), puis se courbe vers un grave maîtrisé, en noble retenue, Su'l mar la navicella (le petit bateau sur l'eau) portant un va-et-vient nourri d’arabesques.
Anna Caterina Antonacci sait également sortir de sa zone de confort italienne, avec une seconde partie rigoureuse dédiée au répertoire français. Nadia Boulanger, à l’aune des textes symbolistes d'Albert Samain, Émile Verhaeren et Maurice Maeterlinck est ici surprenante, vive et même brusque, véloce, très moderne. La voix conserve toutefois sa pointe d'amusement, le ton clair et la perle de notes fines, nostalgiques et sombres pourtant. Vient enfin le Poème de l’amour et de la mer sur un texte de Maurice Bouchor mis en musique par Ernest Chausson pour l'accompagnement duquel un quatuor à cordes (issu de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie) rejoint le piano (restant toutefois loin de l'orchestre prévu à l'origine). Harponné par la noirceur de la fleur des eaux et de l'amour mort, le ton est grave, les années ont passé mais l’interprète demeure, solennelle et profonde.