Viva la Mamma à Genève : une belle farce pour les fêtes
Cette version des rares Convenienze ed inconvenienze teatrali, appelée Viva la Mamma, Laurent Pelly l’avait déjà faite apprécier en fin de saison 2016-2017 à l’Opéra de Lyon. Ce dramma giocoso en deux parties de Gaetano Donizetti (1797-1848) créé au Teatro della Cannobiana de Milan le 20 avril 1831, s’invite cette année à Genève pour illuminer la période de fêtes.
L’œuvre est une mise en abyme du théâtre dans le théâtre : un compositeur, un poète et un impresario tentent de monter une production de Romulus et Ersilia, devant surtout gérer tant bien que mal une petite troupe de chanteurs aux egos surdimensionnés, maltraités par une mère intrusive et autoritaire. Dans sa production, Laurent Pelly cherche à révéler toute la mélancolie de cette comédie, mettant en relief les passages les plus humoristiques tout en donnant un sens profond à une œuvre réjouissante. C’est ainsi que le public découvre avec amusement en lever de rideau un ancien petit théâtre transformé en parking. Les personnages y apparaissent comme si l’on vivait le souvenir incomplet des dernières heures de cet ancien lieu culturel de Lodi, petite ville de Lombardie. Même face à quelques voitures garées et un sol de béton, le spectateur est rapidement pris par l’action constante. La mise en scène d'une répétition catastrophique se déroule dans le théâtre à la splendeur retrouvée, quoique l’état de certains sièges laisse comprendre une situation moins flamboyante. Comme toujours dans les productions de Pelly, l’implication scénique est fortement sollicitée, avec une appropriation complète de chaque personnage qui s’intègre dans un tout, notamment lors des passages d’ensembles chorégraphiés.
Il va de soi que le personnage central, la ridicule et imposante Mamma Agata, nécessite le panache d’un grand interprète, pleinement trouvé en la personne de Laurent Naouri. Hilarant comédien, le public, déjà fort amusé dès son apparition de grosse dame bruyante, est plié de rire lors de son imitation de l’orchestre « Il violino col zichete » (scène 2), de son terrible déchiffrage (scène 5) et plus encore lors de son air « Assisa a’ piè d’un sacco » (Assise au pied d’un sac – scène 13), aussi ridicule dans les paroles que dans les mimiques. D'autant que, vocalement, Laurent Naouri joue avec aisance d'une multitude de timbres, flatteurs ou ridicules, joliment timbrés ou drôlement grinçants, sans jamais perdre ni en puissance ni en compréhension. Le baryton est évidemment acclamé par le public après une telle interprétation.
Le reste de la distribution n’a toutefois pas à pâlir, à commencer par la diva de la soirée, la prima donna Daria interprétée par la délicate soprano Patrizia Ciofi. Ses aigus lumineux couronnent des enchaînements de vocalises et de trilles agiles. Son grand admirateur de mari, le ténor Procolo est incarné par le baryton David Bižić, au timbre chaleureux, élégant et agile, aisément projeté, même dans le périlleux exercice qui consiste à chanter avec assurance et volontairement un demi-ton trop haut ou trop bas lors de sa tentative d’air « Son guerriero » (Je suis un guerrier – scène 13). La seconda donna Luigia, fille de Mamma Agata, est interprétée par la soprano Melody Louledjian, qui a l’occasion de faire ses preuves lors de « Tu che voli già spirto beato » (Toi qui, esprit bienheureux – scène 13), charmant air final extrait de Fausta de Donizetti. La soprano, d’abord volontairement timide et gauche après le doux solo du violoncelle, déploie progressivement une voix rayonnante.
Le désespéré maestro est confié au baryton-basse Pietro di Bianco, musicien aux multiples talents : il met au service de la mise en scène sa formation première de pianiste pour accompagner lui-même les airs de la Mamma, rajoutant au réalisme de son jeu de comédien. Sa voix est tout aussi convaincante, brillante et puissante. Avec une silhouette à la Pavarotti, le primo tenore Guglielmo est interprété par le ténor Luciano Botelho et tout le ridicule stéréotypé d’un divo. À se demander tout de même si ses aigus limités sont volontairement désagréables (mais manquent alors d’exagération scénique) !
Dans la fosse, le chef Gergely Madaras se montre très actif et toujours extrêmement vigilant. Heureusement, car certains passages sont plus compliqués qu’il n'y paraît, notamment lors de la première scène où tous les personnages veulent avoir le premier rôle. Il n’est donc pas facile de maintenir le rythme entre ces multiples individualités et l’Orchestre de Chambre de Genève qui ne manque pas d’entrain. À plusieurs reprises une sorte de course est lancée entre le plateau et la fosse, aux jeux certes agréablement pétillants mais heureusement maîtrisés par l’investissement et l’attention du chef, le tout rehaussé par l’implication du Chœur d’hommes du Grand Théâtre de Genève.
Viva la Mamma est assurément une belle production pour fêter la fin d’année, avec la pétillance et le talent des musiciens et chanteurs de cette production, ainsi que la fine interprétation de Laurent Pelly pour une œuvre très plaisante de Donizetti.