Féerie et convivialité de L’Arpeggiata avec Valer Sabadus et Céline Scheen
En créant en 2000 son ensemble L’Arpeggiata, Christina Pluhar veut
recréer un monde sonore vivant par la recherche interprétative et
documentée –historiquement informée. La façon de vivre la
musique du XVIIIe siècle était assurément très
différente selon les interprètes et les écoles de transmission
orale. Cette liberté, Christina Pluhar
n’hésite pas à se l’approprier pour retrouver, non pas
l’univers sonore de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), mais toute
sa puissance expressive, physique et parfois sensuelle. Par l’art
de l’ornement et de l’improvisation, la musique baroque
partage de nombreuses similitudes avec le jazz. C’est pourquoi,
pour ce programme « Händel goes wild », Christina Pluhar invite le clarinettiste Gianluigi Trovesi pour improviser,
tout au long du programme, des passages jazzy en introduction ou au
sein même de la musique Haendelienne. Si la démarche déconcerte au
premier abord, elle prend rapidement tout son sens par l’émotion
réelle qu’elle transmet et notamment grâce à la grande qualité
des musiciens.
La Sinfonia « Entrée de la Reine de Saba », extraite de Solomon, est la mise en oreille nécessaire pour s’habituer à la sonorisation de l’ensemble (tous les artistes sont amplifiés par microphones) : nécessaire pour cet effectif de treize musiciens, dont certains aux instruments anciens, dans cette grande salle qu’est l’Auditorium de Lyon, ainsi que pour cette version inattendue, avec le jazz band (piano, percussions, contrebasse et clarinette) qui répond ou accompagne les instruments d’époque. Les timbres du cornet à bouquin et de la clarinette s’allient très bien pour introduire « Pena tiranna » (extrait d'Amadis de Gaule).
L’oreille doit encore se faire à la sonorisation de la voix de Valer Sabadus, qui paraît d’abord lointain, certainement à cause d’un léger déséquilibre sonore avec le violoncelle notamment. Cela n’empêche toutefois pas d’en apprécier son interprétation angélique. Le da capo (reprise ornée) accompagné par le toucher léger du piano et la douce batterie lui donne une étonnante liberté d’ornementation, prouvant la cohérence de ce mélange de styles. De la même manière, Céline Scheen interprète « Where’er you walk » (Semele) avec son timbre lumineux et un juste équilibre entre sa technique vocale lyrique et son expression simple et sincère qui sied à l’accompagnement. Par une transition sans doute improvisée, le premier mouvement du Concerto en sol mineur d’Antonio Vivaldi (1678-1741) sert d’interlude instrumental, rythmé par la guitare baroque aux allures de guitare flamenco. Bien que cette version soit assurément unique et inédite, elle ne manque pas de relief et respecte l’essence de la partition.
Avec « Tu del ciel ministro eletto » (Le Triomphe du Temps et de la Vérité), la soprano bénéficie du contraste produit par l’interprétation précédente, son expressivité étant ainsi comme amplifiée. Son da capo, soutenu par Gianluigi Trovesi, en est particulièrement touchant. La voix de Valer Sabadus est moins puissante que celle de sa collègue. Toutefois, il n’en a pas moins l’expressivité et le timbre solaire, aux aigus sublimes, avec une attention extrême aux phrasés, superbes. L’écoute attentive du public est intense, ne quittant son silence religieux que pour saluer chaleureusement les deux chanteurs. C’est en duo qu’ils interprètent « Io t’abbraccio » (Rodelinda), alliant pleinement leurs timbres. Il est toutefois dommage que leur projection ne soit pas semblable. Sans doute cet air est-il aussi un peu trop grave pour que la voix de Sabadus puisse s’y épanouir pleinement. La Sinfonia extraite d’Alcina commence avec une introduction poétique de la clarinette, rejointe subtilement par le piano puis par les autres instruments qui, progressivement, accélèrent à la façon d’une danse klezmer jusqu’à devenir tourbillonnante. Après cette excitation, Céline Scheen apaise le public avec « O Sleep, why dost thou leave me » (Semele). Accompagnée des aigus du piano et de quelques grelots, qui sont comme des gouttes cristallines, la soprano est féerique et émouvante. Le contre-ténor peut ainsi inviter à la douce et belle rêverie « Cara sposa » (Rinaldo), accompagné de la légèreté des violons. Les deux solistes chantent ensuite « Caro/cara, tu mi accendi nel moi core » (Faramondo) dans une version rythmée très séduisante où tous, musiciens comme auditeurs, prennent un réel plaisir.
Par la douce introduction du théorbe, l’atmosphère est transformée pour que Céline Scheen donne une interprétation de l’air célèbre « Lascia ch’io pianga » (Rinaldo). Plusieurs auditeurs y versent une larme. C’est alors au tour de Valer Sabadus d’émouvoir et d’enthousiasmer par le charme de ses ornements sur « Mi lusinga il dolce affetto » (Alcina), soutenus par un soutien de phrasé et une gestion du souffle parfaits. Après la légèreté très agréable de « Piangerò la sorte mia » par Scheen, le contre-ténor démontre toute son impressionnante virtuosité avec « Venti, turbini » (Rinaldo), sur un accompagnement donnant envie de danser.
Ce sont des acclamations qui saluent son interprétation. Les spectateurs sont nombreux à se lever pour saluer l’ensemble des musiciens. Ces derniers offrent en bis un duo fort touchant, de nouveau salué par de longs applaudissements.