Dietrich Henschel l’enchanteur à la Cité Musicale de Metz
Les nombreux et hauts micros disposés sur scène pour permettre l’enregistrement de ce concert, placés au plus près des instrumentistes, ne cachent fort heureusement pas le visage et la silhouette longiligne du baryton allemand, ni les visages des musiciens, en particulier de Stefan Schultz, Directeur artistique et violoncelliste du Concert Lorrain, habitué de ces lieux. L’instrumentiste, à la direction comme à l’archet baroque, déploie une expressivité contagieuse. Totalement imprégné de ses partitions, il transmet son plaisir de jouer à ses camarades et dirige avec une minutie extrême tant la partition que les ajustements et accords nécessaires des instruments baroques.
Un voyage à travers l’Europe est proposé, de l’Angleterre de Haendel à l’Italie de Vivaldi et Scarlatti, de l’Allemagne de Jean-Sébastien Bach et Telemann à un retour ultime vers l’Angleterre et Le Messie. Cette œuvre initie et clôt le concert. Après une ouverture à la fois solennelle et aérienne des musiciens, Dietrich Henschel, assis près de l’orgue, se lève pour le récitatif « For behold, darkness shall cover the earth » (Car, vois, l’obscurité couvrira la terre). La coloration sombre mêlée d’angoisse fait mouche immédiatement, mais pâtit d’une articulation brouillonne, rattrapée par une projection qui s’installe progressivement et des médiums souples. Les trilles nombreux ornent l’air « The people that walked in darkness » (Le peuple, qui marchait dans l’obscurité), insistant sur le contraste sémantique de darkness et light.
En milieu de première partie, Haendel revient avec un extrait d’Orlando, « Sorge infausta una procella » (Une sombre tempête se lève) et la voix de Zoroastro se fait rassurante, confiante et enveloppante par le timbre du baryton. L’expressivité de son visage s’allie à une scansion vive à l’unisson des coups d’archets du violoncelle. Les deux derniers extraits du Messie, « Behold, I tell you a mystery » (Voici, je vous dis un mystère), annonce la trompette lumineuse et victorieuse de Moritz Görg et la transition vers l’ultime air de résurrection, « The trumpet shall sound » (La trompette sonnera). « We shall be changed » (Nous serons changés) résonne, doux et grave à la fois. La diction de l’anglais est cette fois bien assurée, comme celle de l’italien et de l’allemand.
L’air « Se il cor guerriero » (Si ton cœur guerrier) du Tito Manlio de Vivaldi ouvre la partie italienne. Après une attaque fougueuse des cordes, la tenue des aigus est solide, l’autorité de Tito transparaît dans cette conversation privée avec Manlio, son fils, qu’il ne parviendra pas à convaincre de refréner son envie de bataille. Le programme quitte le profane antique pour le sacré de Scarlatti, et deux extraits de Cinque Profeti, le premier ondoyant comme le frêle bateau sur un timbre agile de l’aigu au grave, le second portant puissamment un timbre chaleureux.
La trompette joyeuse, puissante, presque organique de la Sonate en ré majeur pour trompette et cordes de Telemann revient, avant le Messie, accompagner Dietrich Henschel dans sa langue maternelle sur l’air « Dein Wetter zog sich auf von weitem » (De bien loin ton orage s’est annoncé) de la Cantate BWV 36 de Jean-Sébastien Bach. Le travail de scansion de la voix trouve son pendant dans les aigus cuivrés de la trompette et dans les graves ronflants et puissants du violoncelle, voix de basse à lui tout seul.
Le baryton tempère, comme s’il évoluait à pas feutrés, sur l’arioso (petit intermédiaire entre le récitatif et l’aria) « Siehe, ich stehe vor der Tür und klopfe an » (Vois, je me tiens devant la porte et je frappe), précédant un « Streite, siege, starker Held! » (Combats, vaincs, puissant héros !) encourageant le fils de Dieu à mener à bien son combat, et qui résonne logiquement d’un timbre martial aux trilles toujours travaillés.
Après des applaudissements nourris, Dietrich Henschel s’adresse au public, exprime sa joie d’être arrivé avec Le Concert Lorrain au bout d’une semaine intense de travail pour cet enregistrement. Il propose, non sans humour, cherchant la partition dans tous les sens, un dernier extrait du Messie, « Why do the nations so furiously rage together » (Pourquoi les nations sont-elles si furieusement enragées les unes contre les autres), intense et triomphal.