Véronique Gens invite les muses au musée d’Orsay
Intrépide Véronique Gens : quelques jours à peine après s’être rendue à Tourcoing pour sauver son mari injustement emprisonné (voir notre compte rendu de Fidelio), elle réapparaît à Paris et offre au public de l’Auditorium du musée d’Orsay deux heures de pure poésie. Le programme est d’une grande beauté : les mélodies célèbres de Duparc et Poulenc alternent avec d’autres plus rarement chantées (mélodies de Gounod, Massenet ou Reynaldo Hahn), d’autres encore très peu connues (Les Hiboux de Déodat de Séverac sur un poème de Baudelaire, ou le Lamento d’Edmond de Polignac sur un poème de Gautier déjà mis en musique par Berlioz).
Susan Manoff n’est pas une accompagnatrice, mais une interprète, au même titre que la chanteuse : établissant un véritable dialogue avec la voix (notamment dans le Lamento de Polignac), son piano construit un écrin permettant aux mots et au chant de se déployer en toute confiance et en toute poésie. Le bonheur de jouer ces partitions transparaît sur le visage de la pianiste, et sa complicité avec la chanteuse est totale.
La soprano offre au public toute sa clarté d’articulation (pas un mot, pas une syllabe n’échappent à l’auditoire), une voix chaude, au médium velouté et charnu, aux graves assurés et dont les aigus sont ce soir non seulement fièrement dardés, mais aussi nuancés, voire chantés piano. La voix de Véronique Gens offre par ailleurs un festival de couleurs : capable d’une belle véhémence comme de la plus ineffable tendresse (la Chanson triste de Duparc et le frémissement qui parcourt les mots « un doux clair de lune d’été », ou « mon amour, quand tu berceras »), elle se couvre parfois d’un léger voile pour donner aux mots et à la musique une tonalité feutrée et mystérieuse. La ligne de chant réussit ce tour de force d’être à la fois élégante et naturelle, épousant le galbe des vers mis en musique et mettant en lumière la beauté des mots, sans afféterie aucune ni maniérisme.
Cet art consommé du chant se double d’ailleurs d’un talent d’interprète et de diseuse. La douceur mélancolique du Soir de Lamartine (Gounod) ou du Lamento de Gautier, le lyrisme intense investissant l’invitation de Mignon (« Là-bas, là-bas mon bien aimé / Courons porter nos pas ») dans la version de Duparc du célèbre « Kennst du das Land ? » (« Connais-tu le pays ? ») de Goethe, la gourmandise dans la façon de prononcer le mot « Paris » dans l’amusant Voyage à Paris de Poulenc/Apollinaire ! Enfin, à plus d’une reprise, Véronique Gens trouve l’occasion de laisser s’exprimer un sens de l’humour particulièrement efficace et qui fait mouche : la salle est incapable de refréner ses rires lors d’une interprétation particulièrement hilarante de « Nous voulons une petite sœur » (Poulenc) donné en bis. En bis également, deux fables de La Fontaine mises en musique par Offenbach, avec une interprétation irrésistible de drôlerie pour Le Corbeau et le Renard.
De quoi rendre très impatients de retrouver Véronique Gens en terres offenbachiennes, avec Maitre Péronilla au Théâtre des Champs Élysées le 1er juin prochain (réservations) !