Angélique Boudeville illumine le concert français de l'Amphithéâtre Bastille
L'Académie de l'Opéra national de Paris propose un programme entièrement français, avec de très belles œuvres de Claude Debussy, Maurice Ravel et Hector Berlioz, chaque chanteur interprétant un cycle entier à tour de rôle. C'est l'irlandaise Sarah Shine qui ouvre le bal, avec seulement trois des Ariettes oubliées de Debussy (C'est l'extase, Il pleure dans mon cœur et Green), orchestrées par André Caplet et Ernest Ansermet. Si la sonorité de l'orchestre sied très bien aux harmonies debussystes si sensuelles des premiers accords, le volume est ensuite nettement trop fort et la soprano légère se retrouve fort couverte pendant les trois mélodies. Il faut tendre l'oreille pour entendre et comprendre ce qu'elle chante, alors qu'elle projette au maximum et heureusement ses consonnes. Malheureusement, sous la pression sûrement, elle ajoute en outre un dièse bien malencontreux à la quatrième note, brisant l'extase.
Vient ensuite le baryton Timothée Varon avec les Trois ballades de François Villon, toujours de Debussy. Le français est le seul à venir avec partition, mais cela s’explique par la difficulté de ce cycle, surtout avec orchestre. D'autant que la direction de Jean-Luc Tingaud est pour le moins étrange. Laissant peu de place aux chanteurs, il ne les accompagne pas réellement, et parfois même les met en difficulté par des tempi soit trop lents, soit trop rapides, rarement en phase avec les phrasés des chanteurs. Doté d'un très joli timbre et d'une belle présence, le baryton montre un élégant potentiel de conteur alors même que les poèmes ardus, en ancien français, ne lui facilitent pas la tâche.
Pour conclure avec Debussy, c'est l'américaine Jeanne Ireland qui s'attaque aux Trois chansons de Bilitis. L'aisance et la sensualité nécessaires à l'interprétation de ces poèmes de Pierre Louÿs (parmi les plus érotiques mis en musique) ne sont pas facilitées par son français et les exigences acoustiques de la salle. Son timbre est pourtant très beau, sombre et sensuel.
C'est son compatriote Alexander York qui prend le relais avec Maurice Ravel, et ses Chansons de Don Quichotte à Dulcinée. Il adopte en partie l'arrogance du personnage, dans un effort notamment louable pour jouer l'ivresse dans la Chanson à boire. Ses aigus sont un peu forcés, malgré un timbre riche, qui gagnera à se décrisper et à prendre davantage de plaisir.
Après l'entracte, le public accueille Angélique Boudeville dans Les Nuits d'été d'Hector Berlioz, œuvre qu'elle connait très bien pour l’avoir chantée en tournée au printemps (à tel point que c'est parfois elle qui semble accompagner l'orchestre et le rattraper). Sa Villanelle est héroïque, mais elle se montre ensuite sensible, déchirante, charmante, faisant preuve d'une grande maturité vocale et plus généralement musicale. Son timbre -joliment lyrique- est particulièrement riche et elle bénéficie d'un excellent registre de poitrine, qu'elle utilise à merveille. Beaucoup moins gênée par l'acoustique que ses collègues, elle trouve véritablement sa place et prend un net plaisir. Sincèrement habitée, elle sert l'œuvre avec beaucoup d'intelligence.