Éric Perez jette le voile sur Les Noces à Massy
Le rideau se lève pendant l’ouverture sautillante des Noces, dévoilant un décor dépouillé : quelques cloisons, et au milieu de la scène un lit, où sous les draps s’agitent Figaro et Suzanne. Très peu vêtus, Jean-Gabriel Saint-Martin et Judith Fa sont jeunes, à l’instar du reste de la distribution. La légèreté règne ici en maîtresse : les chanteurs sont vifs, pétillants, ivres d’amour. Si certains passages sont explicites et charnels (après tout, la pièce de Beaumarchais et le livret de da Ponte gravitent autour de la luxure et du désir des personnages), la mise en scène n’en est pourtant jamais vulgaire.
Pour ces Noces, Éric Perez a fait le choix de reprendre la version d’Olivier Desbordes créée en 1998, qui entrelace les notes de Mozart et le verbe de Beaumarchais. Une alliance franco-germanique qui fait mouche : les récitatifs se font vite oublier, et le texte se glisse entre les airs sans brutalité. Un vent de fraîcheur souffle sur cette partition si familière, et le public apprécie : il rit des personnages et s’amuse de l’intrigue, tout en se délectant de la beauté de la musique. L’atmosphère sensuelle et voluptueuse des débuts s’effiloche cependant au fil des actes. Les corps d’abord presque nus se couvrent, les tissus passent du blanc au crème, au marron, puis au noir pour l’acte final. La pression sur les personnages se fait sentir, comme la scène se cloisonne et les enferme inéluctablement. Incarcérés par le poids de leurs déceptions, de ces vêtements toujours plus couvrants, les acteurs changent de visage. La lumière de Joël Fabing passe du blanc au rouge, plongeant la salle dans l’obscurité. Cette mise en scène permet ainsi à ces jeunes acteurs de présenter leur palette de jeu, qui n’a rien à envier à celle de leurs aînés.
Judith Fa (Suzanne) est une soprano légère et séductrice, son timbre clair et pur illustre la jeunesse du personnage. L’alchimie avec Jean-Gabriel Saint-Martin fonctionne à la fois sur scène et dans la voix : son baryton est chaleureux, profond, aussi généreux que Figaro l’est. Sa voix parlée est superbement projetée, tout en résonance. Le Comte d’Anas Séguin s‘impose dominant et séducteur, et sa fourberie est exprimée par des aigus plus serrés et retirés en fond de gorge. La détresse de la Comtesse se fait sentir dans une maîtrise irréprochable des nuances : Charlotte Despaux captive l’oreille du spectateur par ses attaques délicates et un vibrato animé par ses émotions.
En Chérubin, Éléonore Pancrazi est masculine dans la posture, mais sans jamais trop en faire. La mezzo charme tantôt par sa retenue, comme dans sa déclaration à la Comtesse, tantôt par sa théâtralité, où le vibrato se fait plus large. Le ténor cuivré d’Alfred Bironien sied au séducteur Basile, emperruqué et poudré, manipulant les autres avec perfidie. S’ils se montrent décadents et lubriques au début, Matthieu Lécroart et Hermine Huguenel deviennent rapidement des parents touchants, seuls personnages semblant épargnés par la noirceur qui gagne la scène. Le baryton est rond, son souffle long, tandis que la mezzo se révèle puissante, mis à part en voix parlée où son timbre semble se briser par moments. La Barberine de Clémence Garcia se fait mielleuse au dernier acte. Les tutti sont assez équilibrés, bien que les médiums souffrent parfois de la puissance des extrêmes. Le caractère enjoué des chanteurs semble parfois prendre le dessus et les fait se hâter légèrement, ce qui n’empêche pas Constantin Rouits de garder le cap et de mener l’Orchestre de l’Opéra de Massy vers de chaleureux applaudissements.