L’Anima Sacra de Jakub Józef Orliński investit la Chapelle Royale de Versailles
Le
capital sympathie de Jakub Józef Orliński est
immense auprès du public. Il y a du lutin facétieux chez ce
jeune contre-ténor, et son sourire radieux, ses yeux malicieux, ses
gestes vifs, son élégance, sa façon de saluer (main sur le cœur,
légèrement incliné, la jambe gauche en avant révélant une
chaussette rouge vif parfaitement assortie à la pochette de son
costume noir) gagnent immédiatement le cœur de l’auditoire,
avant même que sa voix ne se fasse entendre.
Ôlyrix était présent au premier concert donné à Paris par Jakub Józef Orliński il y a presque un an Salle Gaveau : un concert de qualité, mais qui avait laissé malgré tout un « sentiment un rien mitigé ». Depuis, le contre-ténor a offert d’autres concerts en région parisienne, de nouveau Salle Gaveau en novembre dernier, ou encore à Compiègne. Le récital donné dans la Chapelle Royale de Versailles confirme l'évolution de la voix et de l’art du contre-ténor polonais. Peut-être est-ce dû en partie à un programme maîtrisé : composé de pièces sacrées peu ou pas connues du dix-huitième siècle italien, il reprend plusieurs pages du premier album de l’artiste (Anima sacra). La voix possède dorénavant une réelle amplitude, un timbre dense, une belle projection. Surtout, elle se conserve intacte jusqu’aux deux extrêmes de la tessiture (particulièrement sollicités dans le Mea tormenta, properate de Hasse). Les graves notamment (S’un sol lagrima de Zelenka) sont ronds, puissants et veloutés. La ligne de chant est élégamment conduite, certains sons étant projetés de façon un peu fixe avant qu’un léger vibrato ne vienne les colorer en fin de phrase. La virtuosité de Jakub Józef Orliński, sans être spectaculaire, est séduisante en ceci qu’elle ne s’exhibe pas aux dépens de l’expression. Les vocalises, chantées à pleine voix, sont précises sans être agressives, sans rompre la fluidité de la ligne de chant. Délicatement ciselées, ou fièrement projetées, elles ne perdent jamais leur souplesse ni leur délié.
L’interprète reste d’une extrême concentration tout au long du concert (même quand le public interrompt malencontreusement le Nisi Dominus de Vivaldi à deux reprises par ses applaudissements précoces). Il fait preuve d’une réelle attention aux mots, à l’esprit des textes. Par les couleurs de sa voix mais aussi la prosodie, la prononciation (un soupçon de véhémence supplémentaire serait cependant le bienvenu), il se montre capable de donner aux différentes pièces le caractère propre qui leur appartient, de la prière de l’Alma redemptoris Mater (Heinichen) à la jubilation du Tam non splendet ou la fougue désespérée du Mea tormenta, properate de Hasse.
Fondé il y a 6 ans à peine, l’ensemble Il Pomo d’Oro qui accompagne le contre-ténor se montre remarquable de précision, de couleurs, de dramatisme. Le mérite en revient non seulement aux instrumentistes, d’une musicalité et d’une virtuosité impeccables, mais aussi au jeune chef Maxim Emelyanychev qui, de son orgue, dirige de la seule main droite, d’un hochement de tête, d’une mimique, d’un regard tantôt tendre, tantôt foudroyant, d’un balancement d’épaule, ou encore en se levant subitement de son siège pour inciter les musiciens à donner à tel passage plus de force et de dramatisme.
Devant l’accueil enthousiaste du public, Jakub Józef Orliński offre trois bis : de Fago, « Alla gente a Dio diletta » (extrait d’Il Faraone sommerso), le « Domine Fili Unigenite » de la Messa a 5 voci de Francesco Durante, avant de conclure par la page qui l’a révélé au grand public dans une vidéo visionnée près de 2,5 millions de fois : le célèbre « Vedrò con mio diletto » du Giustino de Vivaldi, dont il offre une interprétation particulièrement recueillie et émouvante.
Très présent dans notre pays, Jakub Józef Orliński pourra prochainement être applaudi à Paris au Théâtre des Champs-Élysées dans le Stabat Mater de Pergolèse (le 18 février) et Agrippina de Haendel (avec Franco Fagioli, Joyce DiDonato, Marie-Nicole Lemieux, le 29 mai).