Motets croisés par Pygmalion de Pichon à la Philharmonie
Le motet est certes un sacré caméléon musical, traversant huit siècles depuis l'école médiévale de Notre-Dame (la cathédrale parisienne donnait alors le diapason et la mesure de la musique occidentale) jusqu'à nos jours (des compositeurs contemporains comme Thierry Escaich composent encore des chefs-d'œuvre de motets). Cette forme musicale connait toutefois ses siècles d'or durant la Renaissance et la période baroque. Elle met en avant le "mot", avec une grande diversité dans le nombre des voix, la présence ou non d'instruments, en différentes langues.
Raphaël Pichon et l'Ensemble Pygmalion composent un programme autour de Jean-Sébastien Bach, mais les motets allemands du XVIIIe siècle enchaînent sans transition avec les motets en latin du XVIIe siècle par des compositeurs italiens (Giovanni Gabrieli et Vincenzo Bertolusi) ou allemand (Hieronymus Praetorius), le tout enchaînant des partitions à 4, 5, 7 ou 8 voix. Outre l'entracte, la soirée ménage deux interruptions, avant les deux œuvres plus renommées de Bach : Jesu, meine Freude (Jésus, ma joie) et Lobet den Herrn (Louez le Seigneur).
La configuration relativement importante présentée ici par l'Ensemble Pygmalion avec six chanteurs par pupitre et même deux sopranos supplémentaires tire ces Motets vers une dimension plus imposante et plus tardive. Si cette forme pouvait s'interpréter dans des configurations diverses, y compris bien fournies, elle n'en demeure pas moins, à l'origine, un chant intime, une prière pour accompagner un défunt et interprétée devant son domicile. Les passages à trois chanteurs sont ainsi particulièrement poignants et bien articulés ici, d'autant que ces choristes ne sont pas des solistes et ne cherchent donc pas la performance vocale. Cependant, l'essentiel de la soirée mobilise un tutti qui peine à s'accorder précisément et à homogénéiser parfaitement les différentes lignes ornées. Les immenses fugues chorales s'essoufflent alors. Toutefois, le travail prosodique est minutieux, le chœur articule sans buter sur les nombreuses allitérations et s'appuie même sur ces consonnes pour des effets de sifflements, claquements et autres illustrations musicales. Il se retrouve ainsi sur les homorythmies (tous sur le même rythme) avant des accords glissant par une douceur nocturne sur des harmonies majeures.
D'autant qu'ils peuvent suivre à chaque instant la pulsation tonique de Raphaël Pichon qui avance bien sur le tempo et ses talons. Il en va de même pour les instrumentistes-accompagnateurs avec la maîtrise du déséquilibre rythmique au clavecin (ses trilles à la française ne perdant pas la pulsation), le désormais renommé théorbiste Thomas Dunford qui claque de francs accents, le violoncelle et la contrebasse agrémentant le continuo d'un son boisé tandis que l'assise doucement soufflante est à l'orgue.
Prouvant jusqu'au bis combien les styles musicaux se sont influencés à travers les siècles, Raphaël Pichon et l'Ensemble Pygmalion reviennent pour interpréter un autre auteur de fameux motets, un compositeur qui doit beaucoup à Bach et auquel Bach doit beaucoup : Felix Mendelssohn (influencé par l'écriture de Bach mais qui a également été le premier compositeur de renom à faire de nouveau jouer du Bach pour de grands concerts). La ferveur ayant accompagné tout ce concert devient une naturelle salve d'applaudissements.