Audacieuse Rodelinda pour les fêtes à l’Opéra de Lyon
C’est avec un regard innocent (celui de Flavio, l'enfant de
Bertarido et Rodelinda incarné ici par le comédien Fabián Augusto
Gómez Bohórquez) que le metteur en scène Claus Guth aborde
l’œuvre. La démarche n’est certes pas inédite mais reste
pertinente et intéressante. Toute l’action se déroule dans un
décor unique, une maison de maître toute blanche mais disposée
sur un plateau tournant. Comme une maison de poupée, l’action peut
alors se tenir dans la salle à manger ou dans la chambre à
l’étage, dans le grand escalier ou devant la façade, allant
parfois d’un endroit à un autre avec une grande fluidité. Comme
dans un esprit infantile et manichéen, tout est noir ou blanc, et
les murs deviennent le support des projections pour des dessins :
l'unique moyen pour cet enfant de partager ce qu’il voit et ressent
puisqu'il est ignoré (bien qu’il soit quasi omniprésent) et privé
de parole. Sa souffrance et son traumatisme sont tels qu’il voit
même des doubles des six personnages aux masques terrifiants. Même
à la toute fin, alors que tout finit pour le mieux et que les
adultes se réjouissent, Flavio n’en a pas terminé avec ses
terribles fantômes.
Scéniquement et vocalement, les six personnages ont droit à de très convaincants interprètes. La malheureuse et malicieuse héroïne Rodelinda est incarnée par la jeune soprano espagnole Sabina Puértolas, au timbre charmant, à la technique permettant de très agréables et virtuoses vocalises. Le public salue notamment son bel air de désespoir « Se’l mio duol non è si forte » (Si ma douleur n’est pas assez forte – Acte III, scène 4), plein de tendres intentions. Il est toutefois fort dommage que son italien soit très souvent incompréhensible et que sa puissance vocale limitée ne parvienne à toucher tous les auditeurs. Cette faiblesse est encore plus évidente lors de son duo avec l’Eduige d’Avery Amereau. La mezzo-soprano américaine possède une belle et naturelle présence scénique et vocale, une diction soignée et un timbre chaleureux aux graves particulièrement séduisants. Ces qualités se retrouvent également dans la voix du ténor Krystian Adam, Grimoaldo au timbre clair, particulièrement dans toute la tendresse de l’air « Pastorello d’un povero armento pur dorme contento » (Petit berger d’un pauvre troupeau, dors bien – acte III, scène 6).
Bertarido est incarné par le contre-ténor Lawrence Zazzo. Dès son premier air, sa présence expressive et nuancée envoûte le public. Par son dialogue avec les flûtes à bec lors du « Con rauco mormorio » (Avec un murmure voilé – Acte II, scène 5), il montre toute la finesse de son chant. Dans l’intense « Vivi, tiranno » (Acte III, scène 8), le da capo (reprise) lui offre l’occasion de démontrer toute sa bravoure vocale. Le cruel et ambitieux Garibaldo est interprété par le baryton Jean-Sébastien Bou, à la voix à la fois sombre et brillante, d'impeccable méchant, dont il ne manque malheureusement que la puissance dans les quelques extrêmes graves. Enfin, le contre-ténor Christopher Ainslie est un attachant Unulfo, au timbre un peu voilé mais à l'appréciable simplicité.
Comme souvent dans l’œuvre lyrique de Haendel, la musique nécessite un investissement constant et fort exigeant pour les interprètes mais aussi pour soutenir l'attention du public. Heureusement, en accord avec la mise en scène, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon ne manque jamais de mouvement, nuançant avec intelligence ses équilibres et phrasés grâce à l’attentive direction de Stefano Montanari. Le chef italien sait visiblement retenir son audace, s'accordant avec les exigences de ce répertoire. Le public le reconnaît en applaudissant longuement toute la production de ce beau spectacle.