La Belle Hélène embarque de Nancy pour l’île de Cythère
Cette nouvelle production de La Belle Hélène d’Offenbach répond pleinement aux critères de l’opéra bouffe mené tambour battant. Tout en respectant cette évocation totalement débridée de la mythologie grecque détournée par les soins d'Offenbach et de ses valeureux librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy, Bruno Ravella se rapproche quelque peu de notre époque. Au cours de l’ouverture, le prince Pâris se voit ainsi confier la mission -répartie en trois actes- de séduire et d’enlever la femme la plus belle du monde, à savoir Hélène Reine de Sparte pour ainsi déclencher la Guerre de Troie.
Sorte d’aventurier et d’espion au sourire ravageur, Pâris ne cesse de s’admirer lui-même, sa main passant et repassant dans ses cheveux gominés, la bouche pulpeuse, l’œil aguichant, sorte de bellâtre outrageux, qui séduit, en dehors d’Hélène, toutes les femmes présentes, dont les choristes féminines qui s’évanouissent à sa vue. Le personnage n’est pas sans évoquer Jean Dujardin incarnant le fort maladroit voire benêt OSS 117 (qui parvient cependant à ses fins). En puisant parmi les références cinématographiques qui lui tiennent à cœur, Bruno Ravella transforme successivement la sexy Hélène en Evita Peron haranguant les foules depuis son fameux balcon -en l’occurrence les pleureuses d’Adonis toutes de noir vêtues et sanglotantes à souhait-, en Grace Kelly, summum de la sophistication et de l’élégance, puis en Brigitte Bardot et sa fausse simplicité. Les jeux des Grands Rois de la Grèce (les épisodes de la charade et des irrésistibles bouts rimés, le jeu de l’Oie) semblent tout droit sortis des jeux télévisés à la mode avec ces buzzers écrasés allègrement et cette Oie géante qui occupe toute la place. La production enchaîne ainsi toute une série de situations hilarantes -le coup de foudre entre Hélène et Pâris est un réel moment de grâce scénique- et surtout parfaitement justes. Certaines parties de texte (peu en fait) abordent avec intelligence et sans alourdir le propos plusieurs faits d’actualité et certains personnages en place. Mais le tout avec l’esprit et la distance qui conviennent. On rit beaucoup et de bon cœur devant ce spectacle réglé à la perfection. Les décors créés par Giles Cadle, comme celui de l’appartement d’Hélène au second acte malicieusement dominé par les portraits des parents de la Reine, son père Jupiter en Cygne majestueux et sa mère évoquée par une photo de la jeune et radieuse Danielle Darrieux, ou celui du troisième acte figurant le Cabaret la Galère de Vénus sur la plage de Nauplie, où Pâris se transforme en rockeur, apparaissent parfaitement en situation. Les costumes superbes de Gabrielle Dalton, mélangeant fort adroitement les époques et les styles, les lumières méditerranéennes de Malcom Rippeth, la chorégraphie endiablée de Philippe Giraudeau, constituent autant d’éléments clés de cette savoureuse Belle Hélène.
Philippe Talbot entre totalement dans le jeu et recueille tous les suffrages. Il incarne le berger puis le Prince Pâris avec une énergie communicative, bondissant et rebondissant sans cesse, dégringolant les escaliers, révélant un sens comique de premier plan. Vocalement, il excelle dans ce rôle qui sollicite beaucoup l’aigu comme dans son fameux Jugement au mont Ida ou au cours du troisième acte lors des stances débridées du Grand Augure de Delphes.
Après un premier acte un peu réservé, Mireille Lebel se libère et livre une Invocation à Venus de belle facture. Avec un reste d’accent de son Canada d’origine, elle déploie une voix de mezzo-soprano certes installée, aux couleurs variées, mais qui manque d’étoffe dans les aigus (souvent un peu courts) et de profonde séduction pour parfaitement peindre Hélène. L’actrice se plie par contre à toutes les sollicitations de la mise en scène avec une délectation évidente, entraînée par un partenaire qui brûle les planches.
Boris Grappe lui aussi se déchaine dans le rôle de l’Augure Calchas, atteignant à un paroxysme certain -ses délirants mouvement de danse au trio patriotique-, sans pour autant négliger la partie vocale : ligne de baryton très caractérisée et large, au timbre accrocheur. Éric Huchet est un royal Ménélas un rien benêt et tout de candeur. Sa voix de ténor apparaît presque trop luxueuse pour le rôle. À ses côtés, les rois de la Grèce ont pour noms Franck Leguérinel, Agamemnon très en voix et au métier ici évident, Raphaël Brémard Achille décalé et maladroit, Christophe Poncet de Solages et Virgile Frannais, les deux Ajax, excellents tous deux, le premier écrasant l’autre de toute sa haute stature. La mezzo Yete Queiroz détaille les deux airs du bouillonnant Oreste avec beaucoup de verve et surtout une conduite vocale qui ne cesse d’enchanter par son authenticité et ses coloris. Oreste trouve à ses côtés des partenaires de choix et de franche débauche avec Léonie Renaud (Parthoénis) et Elisabeth Gillming (Léoena). Sarah Defrise pour sa part, même si elle a fort peu à chanter, fait vaciller la salle par son interprétation délibérément accentuée de Bacchis, la suivante d’Hélène, au phrasé faubourien et à l’intelligence vacillante.
Laurent Campellone, placé à la tête du Chœur de l’Opéra, merveilleusement préparé par les soins de Merion Powell, et de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, parvient encore à surprendre. Sa direction musicale impose l’élégance et la compréhension de l’ouvrage, sa fantaisie et son équilibre. Il connaît son Offenbach sur le bout des doigts et exploite avec maestria toutes les ressources offertes par le compositeur. En ces temps d’inquiétude, cette Belle Hélène plonge le spectateur dans un bain de jouvence bien salutaire.