Hermanis dans la Damnation de Faust : ange ou démon ?
Sophie Koch et Jonas Kaufmann dans La Damnation de Faust à l'Opéra Bastille © Felipe Sanguinetti / Opéra national de Paris
Stéphane Lissner avait prévenu : Moïse et Aron, la première production de son ère, ferait office de signature, d’indication de ce qu’il souhaite voir sur les scènes de l’Opéra de Paris. Ainsi, trouve-t-on en effet des points communs à ses trois premières productions : des propositions artistiques résolument modernes et questionnant l’œuvre et les spectateurs. Autres similitudes : l’usage de la vidéo et de vitrines de verre qui auront successivement abrité le veau de Moise et Aron, les femmes du Château de Barbe-Bleue et les volontaires du projet Mars One de la Damnation de Faust. Mais force est de constater que si les deux premières ont été acclamées, la troisième a suscité un rejet du public. Dès l’entracte, des huées se faisaient entendre au milieu des applaudissements. Plus tard, juste avant le grand air de Marguerite, des rires fusaient devant une vidéo montrant en gros plan une copulation d’escargots. Le chef Philippe Jordan dut même rappeler le public à l’ordre, de nouvelles huées couvrant l’introduction orchestrale. Surtout, Alvis Hermanis, le poing levé, dut faire face avec son équipe au moment des saluts à une bronca d’une rare violence.
Prenons donc un peu de recul et cherchons à analyser cette mise en scène. La Damnation de Faust narre l’histoire d’un philosophe las de la vie, se réfugiant dans la contemplation de la nature. Il pactise alors avec une émanation du diable, Méphistophélès, afin de retrouver le goût de la vie dans l’amour de Marguerite, une femme aperçue en rêve. Mais cet amour illégitime perd la jeune femme et Faust accepte de se damner pour la sauver. Pour Hermanis, l’incarnation contemporaine de Faust est le scientifique Stephen Hawking, cosmologiste britannique, cloué dans une chaise roulante suite à une maladie neurodégénérative. Implicitement, c’est sa soif d’échapper à ses propres limites par l’exploration d’un univers inaccessible qui est rapprochée du désir de Faust d’échapper à son ennui en suivant les voies du diable. Dès lors, son contrat passé avec Méphisto est mis en parallèle avec l’acceptation par 200 000 candidats de quitter la Terre pour un voyage sans retour vers Mars, projet réel baptisé Mars One, et pour lequel 100 candidats ont d’ores et déjà été retenus. La contemplation de la nature, qui seule maintient Faust en vie, est signifiée par des vidéos en gros plan de fourmis, de rats de laboratoire, de volcans ou… d’escargots. Les ballets et les chœurs, si importants dans cette œuvre, représentent les volontaires du projet Mars One ou les scientifiques encadrant ce dernier, de mèche avec Méphisto. Stephen Hawking, interprété par le danseur Dominique Mercy, contemple sa propre perdition depuis son fauteuil roulant, y laissant finalement la place à son double, son âme, sauvée, rejoignant celle de Marguerite.
Jonas Kaufmann dans le rôle-titre © Felipe Sanguinetti / Opéra national de Paris
Cette vision de l’œuvre, qui déjà concentre de nombreuses critiques parmi les mécontents d’hier soir, se tient tout à fait à notre sens. Elle tend toutefois à être polluée par de nombreux éléments dont la cohérence d’ensemble est difficilement lisible (le robot Curiosity traversant la scène, Adam et Eve enfermés dans une vitrine, un simulateur d’apesanteur faisant tournoyer Hawking en tous sens, etc.), ainsi que par les vidéos que le spectateur peine souvent à rapprocher de l’action. En cause également, la direction d’acteurs, très figée, les personnages (chœurs compris) errant sur scène sans parvenir à insuffler suffisamment d’énergie pour faire entrer le public dans cette mise en scène complexe.
Ce dernier défaut est renforcé par le tempo relativement lent choisi par Philippe Jordan sur les deux premières parties de l’œuvre. Celui-ci offre une plus grande capacité de nuance et de subtilité, mais renforce l’atonie du plateau. Cela reste toutefois un plaisir que d’observer la précision des indications du chef et la réactivité parfaite de l’orchestre. Le chœur des Sylphes, en fin de seconde partie, offre ainsi un moment d’une rare finesse qui eût pu à lui seul faire taire les huées de l’entracte qui suivait. Le chœur, qui connut quelques problèmes rythmiques en début d’ouvrage, est monté en puissance pour offrir un finale démoniaque (pour les hommes) ou angélique (pour les femmes et les enfants de la maîtrise des Hauts-de-Seine) à couper le souffle.
La Damnation de Faust mise en scène par Alvis Hermanis © Felipe Sanguinetti / Opéra national de Paris
Les places des premières dates de cette production se sont vendues en un éclair sur le seul nom de Jonas Kaufmann (il reste d’ailleurs encore des places pour les dernières dates avec l’excellent Bryan Hymel). Celui-ci, sortant d’une période troublée où une maladie persistante l’a obligé à annuler plusieurs concerts, a semblé s’économiser, peinant à remplir la scène vide de la première partie. Pour autant, il n’avait rien perdu de sa parfaite diction, de sa subtilité, ni de la chaleur de son timbre. Ses aigus (son ovation se justifierait pleinement par la seule phrase : « qui te cachait encore mon amour », au début de son duo avec Marguerite) et son cri final déchirant rappellent qu’il est l’un des plus grands ténors en exercice.
A ses côtés, Sophie Koch obtient un tonnerre d’applaudissements à chaque intervention, y compris après l’air « D’amour d’ardentes flamme » pourtant débuté sous les huées précédemment décrites, et dont l’accelerando haletant fit sensation. Son duo avec Kaufmann est de toute beauté, leurs voix se complétant magnifiquement, nous rappelant le doux moment passé avec eux et Werther il y a quelques années…
Bryn Terfel est l’une des grandes incarnations de Méphistophélès, interprétant ce personnage dans les versions de Berlioz, Gounod et Boito. Aussi sa très belle performance n’est-elle pas une surprise. Sans en faire trop, il joue un démon scientifique malicieux, emmenant Faust et d’autres volontaires, non pas en enfer mais sur Mars, trompant Faust par des lunettes de réalité augmentée. Il chante ce que l’on peut considérer comme la morale de l’œuvre (« Ah ! Je suis le coupable ! On vous reconnaît là, ridicules humains ! ») avec un plaisir évident.
Enfin, même s’il pêche parfois dans les graves, Edwin Crossley-Mercer apporte sa gouaille et sa malice pour dynamiser un chœur d’étudiants autrement bien sage. Sophie Claisse campe une Voix céleste touchante et maternelle tout à fait convaincante.
Finalement, qu’on aime ou pas cette mise en scène, la musique fut belle et unanimement appréciée. N’est-ce pas là le plus important ?
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