Un King Arthur anniversaire à Versailles
Créée en 2008 au Festival Radio France Occitanie Montpellier, la production détonante et débridée du King Arthur de Purcell par Gilles et Corinne Benizio alias Shirley et Dino retourne à l’Opéra Royal de Versailles pour ses dix ans, portée par l’adaptation assumée de la partition de Purcell par Hervé Niquet. Ne demeurent en effet du semi-opera que les parties musicales (moins d’un tiers du spectacle original), dont l’intrigue est totalement reconstruite à l’aune des fragments musicaux. Exit la lutte épique entre Arthur le Breton et Oswald le Saxon pour la main d’Emmeline, place à des épisodes du règne du roi, fresques fantasques liées par des intermèdes non moins délirants à l’humour bien ancré dans l’univers des Monty Pythons, du music-hall comme du théâtre élisabéthain.
Le rire est de mise, et ce avant même l’ouverture des rideaux lorsqu'Hervé Niquet fait son entrée tonitruante en haut de costard et bas de kilt, pour présenter l’histoire de son adaptation par un véritable sketch non sans circonvolutions et non-sens. Les interactions avec le public se font dès lors multiples, qu’elles relèvent d’interlocutions (le chef qui, entre chaque tableau, semble perdu et ne pas savoir la suite de l’ouvrage) ou d’une participation effective, lorsque Dino invite l’assemblée à imiter les bruits de l’apparente forêt sur le plateau, entre souffle du vent, cris de loup et croassements dans une cacophonie à laquelle participent généreusement les musiciens. La production fourmille de bonnes idées et invite au rire par des partis-pris franchement assumés et débridés (le duo soprano-souffleur de feuilles, les bergers du troisième tableau autour du feu en une assemblée de hippies, le banquet final avec barbecue et brochettes) ou de menus détails (une expression isolée, un regard complice) qui éveillent et captivent constamment l’attention. Cette fresque du règne d’Arthur montre des moments entrecoupés, des divertissements isolés sans référence à une intrigue définie et dont les intermèdes n'en tissent pas moins une cohérence pour l’histoire et le déroulé du spectacle, avec un plaisant duo Dino-Hervé Niquet. D'abord saisissants et d’une redoutable efficacité, certains trucs tendent malgré tout à s’épuiser au fil du spectacle, notamment les intermèdes et leur formule redondante (accordages des musiciens, chef perdu, etc.). En demeurent des fresques d’une vitalité décapante, animées par le Chœur du Concert Spirituel et cinq solistes investis avec démesure, l'ensemble portant la partition de Purcell dans une théâtralité décapante.
Roi Arthur depuis la création de la production en 2008, João Fernandes est comme un poisson dans l’eau pour ce rôle qu’il arbore avec une grande justesse dans l’humoure ses pas trottés en menuet à sa gestuelle dansée (sur la table du banquet) ou saccadée (lors de l’air du Froid), en passant par des mimiques qui suscitent des rires allègres. La projection est remarquée, aussi bien vis-à-vis des lieux que de l’effectif, avec des graves caverneux et des médiums chaleureux, justes et sonores. Les deux moines Emiliano Gonzalez Toro et Marc Mauillon forment un duo de choc. Leurs danses synchronisées comme leurs expressions exagérées en font des personnages très attachants. Le premier s’épanouit pleinement dans les parties chantées d’une voix assurée, avec un beau timbre soyeux et une rondeur de son inaltérable. À ses côtés et fidèle à cette production, Marc Mauillon incarne ses personnages non sans leste dans les exagérations théâtrales et autres mimiques, soutenu d’une voix franche, parfois tranchante ou au contraire égosillée en des effets comiques très réussis.
Chez les femmes, Chantal Santon-Jeffery et Bénédicte Tauran sont successivement un duo de Cupidons jaloux puis de Courtisanes. La première montre un grain de voix très agréable, légèrement cuivré, l'articulant avec soin et élégance d’une voix délicate et réfléchie (Fairest isle). Bénédicte Tauran est une voix étincelante et flûtée au vibrato incandescent, parfois légèrement en dehors lorsqu'elle s’emporte sur quelques fortissimi passionnés. Ensemble, elles forment, à l’instar d’Emiliano Gonzalez-Toro et de Marc Mauillon, de savoureux duos bien en place.
La performance scénique comme vocale du Concert Spirituel allie théâtralité et grand soin dans le chant. À ce titre, la partition est d’une vitalité sans relâche, épousant le rire et (souvent) la dérision de teintes épiques (le victorieux Come if you dare), mystérieuses (Hither this way) ou d’une sérénité implacable (How blessed the shepherds) avec un chœur final d’une grande majesté. Face à l’effectif instrumental et de sa grande battue, Hervé Niquet, porte la partition de Purcell non pas avec l’extravagance baroque de son jeu théâtral mais avec raison et précision, dans un sens de la polyphonie comme des phrasés émanant d’une connaissance intime de cette partition.
Et pour célébrer cet anniversaire, en plus de chaleureuses acclamations, un grand gâteau est offert à l’équipe artistique, dont Shirley, Dino et Hervé Niquet soufflent les bougies !