Il Diluvio Universale, cataclysme passionnel à Lille
Exhumée
des archives de Messine où la partition reposait depuis 1682 puis
remis entre les mains de Leonardo García Alarcón, Il diluvio universale de
Michelangelo Falvetti (1642-1692), compositeur calabrais dont très
peu nous est parvenu, est
un ouvrage fascinant aussi bien vis-à-vis de son genre (loin de
répondre à la définition classique d’un oratorio) que du sujet
traité. Il retrace l’un des épisodes les plus célèbres de
l’Ancien Testament, le déluge, et convoque à cet effet des forces
humaines (Noé, Rad, le peuple), divines (Dieu) et allégoriques (La
Mort armée de sa faux, mais aussi les quatre éléments et La Nature
humaine). Au sein de ce spectacle à la croisée de plusieurs mondes,
quatre épisodes (Au ciel, Sur Terre, Le Déluge, Sur l’arche de
Noé), depuis
l’annonce par La Justice divine de la destruction du monde jusqu’à
l’arc-en-ciel de la merci.
Fort des interprétations données depuis la redécouverte de l’œuvre en 2010 au Festival d’Ambronay, Leonardo García Alarcón offre une version ciselée faisant la part belle à l’expression des émotions les plus douces comme les plus exacerbées en un temps restreint (1h10 environ), perceptible dès les premières mesures du Ciel. Les cordes s’y unissent en de larges et sereines harmonies avant de basculer vers des mouvements plus aiguisés, annonçant la venue de la Justice divine (Evelyn Ramirez Muñoz) depuis le public. La noyade du peuple est incarnée par un long glissando sur un vacarme instrumental, mémorable comme le chœur à cinq voix « Ahi che nel fin di così ria tragedia » de la troisième partie. Dès lors, malgré l’absence de version scénique, la conduite du chef comme la mise en espace sont très narratives et irriguent le sens du livret signé Vincenzo Giattini. Dieu (Matteo Bellotto) interpellant Noé depuis le premier balcon, la tendre affection entre Noé et Rad, la Mort (Fabián Schofrin) à la tunique noire et à la faux aiguisée comme les vagues de lumières portées sur l’effectif alors que le peuple (incarné par le chœur) se noie, sont autant de judicieuses attentions théâtrales qui immergent dans ce spectacle à la croisée de toutes les forces, divines comme terrestres.
Mariana Florès (Rad) et Valerio Contaldo (Noé) apparaissent ensemble (Sur la terre) en amants dévoués à l’heure de la mort dans un duo (Dolce sposo Noé / Cara Consorte) sur un effectif réduit, affectueux. D’abord en difficulté, avec quelques notes à côté, la soprano remonte le courant pour s’épanouir davantage et cultiver un legato attendri. Poussée, la voix se dote d’une couleur argentée et d’un caractère saillant. Face à elle, le ténor montre une voix dramatique et pleine de lyrisme, irriguée de caractère pour en tirer aigus comme médiums enrobés, avec les « r » très roulés. L’interprète offre en outre un beau duo avec Dieu où, cherchant à recueillir la merci de son interlocuteur, il puise dans la gestuelle comme dans la voix, dont il tire des accents dramatiques. Ce dernier (Matteo Bellotto) offre une voix de basse s’imposant en premier lieu avec toute l’autorité que requiert son personnage, cultivant la justesse de son jusqu’aux fondamentales les plus graves, inébranlables. Requis ensuite à tempo allant, la basse s’élève dans les médiums pour s’élancer dans des vocalises qui semblent parfois l’essouffler, montrant quelques légers décalages avec l’ensemble.
Du côté des allégories, La Justice divine (Evelyn Ramirez Muñoz) fait une entrée foudroyante dès le début du spectacle avec un « Cedi Pietà » dans un aigu cristallin puis répété très poitriné dans les médiums. La voix se gorge de colère alors que la volonté de faire chavirer le monde est transcrite, assombrie comme il se doit. Parfois recouverte par l’effectif orchestral, elle montre malgré tout une énergie saisissante que corroborent les plus rapides vocalises, ondulations vocales bien contrôlées. Au service de la Justice, les quatre éléments (L’Eau incarnée par Julie Roset, Le Feu par Sergio Ladu, La Terre par Thibaut Lenaerts et L’Air avec Lucía Martín-Cartón) forment un quatuor de timbres et de registres variés, dont ressort la volubilité et la fraîcheur de L’Eau, aux aigus doux et scintillants dont les vocalises sont finement miroitantes, ainsi que celle de L’Air, par la suite une Nature humaine dont la prestance s’incarne dans une voix homogène au timbre clair.
À l’heure du monde submergé, La Mort (Fabián Schofrin) fait son marché. Sur le rythme entrecoupé des cordes, le contre-ténor module entre voix de tête et de poitrine avec une théâtralité allant jusqu’à déformer les sons pour susciter des effets détonants (par rapport au reste de l’équipage) et non sans humour, avant d’entonner une tarentelle macabre de vive voix, tambourin à la main et dansant légèrement sur scène.
Le chœur est également central dans le déroulé de l’histoire, figurant aussi bien les enfants de Noé que l’Humanité. L’effectif apporte une intensité dramatique supplémentaire lorsque, se joignant aux solistes (le duo Noé – Rad in cielo), il les soutient avec une coordination très fine. Divisé lors du déluge où les mélismes s’entrechoquent pour former une masse sonore erratique (E chi mi dà aita ?) à l’instar des derniers survivants ballottés par les flots (le « perfida sorte » lancé à bout de souffle), il se retrouve soudé lors du magnifique chœur à cinq voix, pure sérénité. Face à eux, la Cappella Mediterranea extrait de la partition de riches sonorités, occidentales comme orientales avec les percussions de Keyvan Chemirani jointes à quelques lignes évocatrices d’un ailleurs fantasmé (à la viole de gambe). L’ensemble est de haute tenue, habile dans la peinture de l’esprit de la partition (du choral installé à la jubilante tarentelle), avec une belle présence des violes, des bois, des cuivres ainsi que du duo théorbe/clavecin.
Le spectacle est loin d’être fini ! En bis, le chef gratifie l’auditoire d’une reprise du magnifique duo Ecco l’Iride paciera (« Voici l’arc-en-ciel de la paix ») où il joint sa voix aux trois sopranos sur le devant de la scène, puis offre le Tutto il mondo è burla (Falstaff), hommage en légèreté au fondateur du Chœur de Namur récemment disparu, avant d’achever le concert en sérénité avec le magnifique chœur à cinq voix de la troisième partie du Diluvio qui dissipe tout nuage.
Retrouvez ce spectacle de passage à Versailles sur notre billetterie