Une Missa Solemnis qui vient du chœur à Baden-Baden
La Missa Solemnis, dont la composition fut pour Beethoven
un travail de longue haleine, devait à l’origine être jouée pour
l’intronisation de l’archiduc Rodolphe comme archevêque d’Olmutz
en 1820, mais la première audition complète de l’œuvre n’eut
lieu qu’en 1824. Succession de tempi bouillonnants et
apaisés, cris de gloire et recueillement aux accents presque
pastoraux par l’entregent des bois, l’œuvre est monumentale, et
donne une large part au chœur. Celui choisi pour l’occasion, le
Choeur Arnold Schönberg de Vienne, préparé par Erwin Ortner, déploie dans toutes les couleurs de l’opus un
positionnement solide. Projection intense et intensifiée par les
forte de l’orchestre, voire jubilatoire pour la dernière
partie du Gloria, les voix féminines savent également se
faire douces, mesurées, recueillies en un souffle restreint. Le
chœur masculin n’est pas en reste et assure avec la même
précision ses timbres les plus graves. Comme si un fil reliait la
baguette de Jan Caeyers aux gorges du chœur, l’intensité
se réduit ou s’amplifie au fur et à mesure que la battue s’opère,
baguette projetée vers le chœur, puis revenant vers le haut du
corps du chef lorsque la portée vocale doit s’effiler.
Le chef semble donc tirer toutes les ficelles de l’harmonie constante du chœur et de l’orchestre. Cors et trombones lumineux installent le Kyrie. L’Amen jubilatoire final du Gloria apporte un jeu de rythmes vertigineux entre trombones et percussions, avant une reprise des cordes, du chœur, et un dernier arrêt abrupt, tranchant, comme si le silence venait déchirer le son. Le Credo qui suit apaise par la douceur des pizzicati (sons pincés, sans l'archet) et l’évocation de Marie s’exprime non seulement par les voix de basse, mais aussi par l’alliance des contrebasses et des altos. Aux derniers accords du Credo, les bois s’élèvent et se parent d’un timbre bucolique, avant un Sanctus aux cordes ensoleillées. La solennité douloureuse des cordes surgit subrepticement, avant le retour de la chaleur par le violoniste soliste et les pizzicati de l’ensemble des cordes. Elles achèvent ensuite l’Agnus Dei en rondeur et souplesse.
Aucun air n’est entièrement dévoué aux solistes, seule compte ici l’harmonie chorale. Chaque soliste ouvrant telle ou telle partie de chœur est ainsi vite rejoint par les autres. L’exercice périlleux qui consiste à ne pas dominer tout en parvenant à se faire audible et à exprimer la richesse de sa tessiture est exécuté adroitement par Laura Aikin. Remplaçant Malin Hartelius, souffrante, la soprano américaine introduit certains des contrepoints par un timbre très velouté à la portée constamment assurée. Elle participe pleinement de l’effet solaire des cordes du Sanctus en faisant exploser des aigus vibrants et triomphaux.
Dame Sarah Connolly se plie elle aussi à l’exercice en assurant une même diction précise, un timbre soyeux, des graves appuyés dont la plénitude assure une ovation finale à la mezzo-soprano. Le ténor australien Steve Davislim remporte tous les suffrages pour les voix masculines. Immédiatement retentissant dans le Kyrie, il est non seulement assuré sur ses notes les plus aiguës, mais également capable de tenir très longuement des graves profonds sans aucune aspérité.
À l’inverse, le passage vers un timbre plus soulevé s’avère
d’abord compliqué pour le baryton-basse Hanno Müller-Brachmann,
qui, semblant forcer sa voix, la rend chevrotante et perd en
projection. Il se révèle enfin dans la partie introductive de
l’Agnus Dei. Avec un placement abouti, une portée bien plus
assurée qu’au début, ses aigus prennent une coloration chaleureuse. Ils complètent et magnifient avec précision des graves
assurés de bout en bout, distincts, aisément tenus et bien
implantés.
À l’unisson, les solistes posent la pierre ultime à un ensemble choral et instrumental régulier qui se voit couronné par les ovations du public.