Sur les traces d'Hernán Cortés avec Les Sacqueboutiers au Capitole
L’ensemble
réunit quatre chanteurs (soprano,
alto, ténor, basse)
et
quatre instruments à vent anciens : la sacqueboute (l’ancêtre
du trombone), le cornet à bouquin (qui ressemble à une clarinette
tordue), la chalemie (de la famille des hautbois) et la doulciane
(ancêtre du basson), accompagnés par une petite guitare, un petit
orgue, et des percussions variées.
Des musiques de compositeurs baroques d’Espagne et d’Amérique Latine (Guatemala, Mexique et Pérou) un peu postérieures au temps du conquistador Fernando Cortés (1485-1547) sont offertes en alternance avec la lecture par l’acteur Daniel Mesguich de textes historiques. Le portugais Gaspar Fernandes (1565-1629) émigré au Mexique y rencontre le natif Juan Garcia de Zespedes (1619–1678), voisin sur le programme avec le péruvien Juan Peréz Bocanegra (1598 -1645). Ce Bocanegra (à ne pas confondre avec Simon Boccanegra, doge de Gênes ayant inspiré un opéra à Verdi) imprime en 1631 un fort précieux rituel (Ritual formulario, e institucion de curas) contenant plusieurs chants sacrés en langues indigènes, dont le Hanacpachap cussicuinin : une ode à la vierge Marie en langue Quechua (langue indigène péruvienne). Cet exemple de métissage entre les cultures et les rituels est le fil rouge du spectacle, dans lequel peuvent se cacher des chants polyphoniques anonymes, baroques et latins (comme l'Église et comme l'Amérique latine). Le programme rejoue la rencontre entre l'Europe et l'Amérique latine, retraçant d'ailleurs la volonté hégémonique des Conquistadors par la virtuosité envoûtante des rapides articulations aux instruments à vent (Laurent Le Chenadec sur la doulciane et Philippe Canguilhem sur la chalemie, Daniel Lassalle sur la sacqueboute et Jean-Pierre Canihac sur le cornet à bouquin). Les cadences improvisées ne cessent d'impressionner et de se dominer, à l'image d'une bataille musicale. Le percussionniste Florent Tisseyre étonne par l’inventivité avec laquelle il sollicite une grande variété de tons et de timbres différents. Il dispose d’un tambour, un tambourin, une boîte en bois, autant d'outils desquels il tire une large palette de son, selon l'intensité et l'emplacement de ses frappes. De même, Eduardo Egüez gratte ou pique une guitare à mi-chemin entre le style flamenco et la pureté bachienne. Ces musiciens, même en s’appuyant sur la partition, ont compris combien la musique de la Renaissance les laissait libres et inventifs.
Parmi le quatuor de chanteurs, la soprano argentine Adriana Fernandez spécialisée en musique ancienne offre une voix très droite et agile, d’une belle précision dans la fioriture, mais elle est parfois un peu couverte par les instruments ou les autres chanteurs, notamment lorsqu'elle a tendance à trop détimbrer. David Sagastume est un contre-ténor espagnol au son très concentré, projeté, brillant, solidement appuyé et plein d'harmoniques, très droit et juste. Son compatriote Victor Sordo retient son joli ténor, naturel, souple et léger, discrètement par rapport aux dimensions de ce Théâtre du Capitole, sans doute par crainte de trop ressortir. Enfin, la basse Daniele Carnovich surprend par l’insondable profondeur de ses graves et l'amplitude de son ambitus (certes un peu diffus, mais tendre et alerte).
Pour attiser l’imagination du spectateur, lui faire comprendre le miracle de l’existence même de ces chants hispaniques dans les paysages alors inconnus pour l’Europe, du Guatemala, Mexique et Pérou, Daniel Mesguich donne voix à des lettres ou notes écrites par des membres de la compagnie de Cortès même, témoignant de leurs terribles pertes et de leurs souffrances. Un texte raconte l’étrangeté de l’homme blanc, vue de la perspective des Indiens. Plusieurs récits parlent du sort des musiciens accompagnant Cortès : non préparés aux privations de l’aventure, ils tombaient malades, mouraient de faim, puis se faisaient manger par les autres. Un autre témoignage relate la rapidité avec laquelle les Indiens apprennent non seulement à lire et écrire, mais aussi à chanter, jouer, et composer de la musique (européenne) par eux-mêmes. Plusieurs textes concernent la culture des Indiens, la préparation du cacao, par exemple, ou le rituel de sacrifice. Daniel Mesguisch prête vie et urgence à ces antiques paroles par sa belle voix sonore, sa diction infaillible, et un ton toujours très juste.
Il est fascinant d’entendre ces chants polyphoniques récupérés de l’autre bout du monde et du temps. La lecture des écrits contemporains de Cortès aide un peu à imaginer ce monde musical (les œuvres, ou plutôt leur compilation en codex, étant toutefois plus tardive). Une bonne partie de ces chants ont déjà été présentés et enregistrés par d’autres groupes de musique ancienne, cependant, Les Sacqueboutiers apportent à ce répertoire leur sauce piquante : la virtuosité d’ornementation, l'inventivité constante du percussionniste, la gaieté relevée des chanteurs qui entonnent des hey ! et ay ! non sans un certain swing, dans le bruit percussif des talons qui claquent, le tapotement des mains des chanteurs et l’explosion musicale en route vers le Nouveau Monde.