L'Élixir de Laurent Pelly, inlassable classique
Fidèle au lieu dans lequel l’action est censée se dérouler, le metteur en scène place les personnages dans une campagne italienne, où une société profondément agricole se fait duper par le charlatan-docteur Dulcamara qui vend toutes sortes d’élixirs. Des paysans en salopette ou en tunique s’agitent puis s’endorment sur des montagnes de bottes de foin dans ce qui est une image d’Épinal de la campagne italienne, évoquant les paysages des films de Dino Risi (Il Sorpasso -Le Fanfaron-, par exemple), où des pylônes électriques poussent au milieu des champs, où des scènes s’improvisent pour les fêtes tandis que les premiers camions sillonnent les villages.
Dans ce décor très couleur locale, Vittorio Grigolo fusionne avec Nemorino. Son jeu est entier lorsqu’il cherche à arrêter la mobylette d’Adina pour lui prouver son amour au premier acte ou lorsqu’il fanfaronne son indifférence une fois qu’il s’est procuré le fameux Élixir d’amour. Avec sa voix puissante, il coiffe et le chœur et l’orchestre, plus conquérant que le soldat qui sera finalement éconduit. Sa gestuelle expansive de benêt romantique est drôle et colle pleinement au décor. Il saute, il danse, il frétille sur scène, sans jamais délaisser son chant, sans jamais paraître épuisé. Son souffle ébahit et il scotche le public par une interprétation entière.
Dans le rôle d'Adina, Valentina Nafornita vient prendre la relève de Lisette Oropesa pour une poignée de représentations. La complicité avec Vittorio Grigolo est identique, Valentina Nafornita se distingue néanmoins par un timbre chaleureux, aux sonorités suaves. Également puissante et habile sur l'ensemble de la tessiture, elle interprète le rôle de façon très émouvante. Sa voix semble faite pour des rôles plus dramatiques d'opéras de Donizetti (Lucia di Lammermoor, par exemple). Cette sensibilité exacerbe le contraste avec Vittorio Grigolo, qui peine d'autant plus à émouvoir, tant il chante de façon enthousiaste, même lorsque Nemorino est désespéré.
La voix d'Étienne Dupuis en Belcore porte nettement moins et il semble, lui aussi, prisonnier de l'accent mis sur la farce, au point de ne guère susciter d'empathie, même lorsqu'il se retrouve privé de fiancée. Son chant assuré, facilement projeté, sied cependant au personnage du soldat conquérant par excès de confiance. Gabriele Viviani incarne avec verve le rôle très rossinien du docteur Dulcamara. Sa diction est fluide et la rapidité des répliques ne l'empêche pas d'épater la salle par des éclats tonitruants. Avec son costume rose fatigué au deuxième acte, il a quelque chose de Méphistophélès lorsqu’il emberlificote le pauvre Nemorino, même s'il sait également se montrer tendre. Adriana Gonzalez complète le dispositif avec le discret mais essentiel rôle de l'amoureuse de l'ombre. Elle se distingue notamment par la vivacité de son chant dans le trio avec Adina et le docteur Dulcamara au deuxième acte.
Les percussions sont un peu sourdes lors de l'ouverture, mais l’orchestre sait se rappeler aux bons souvenirs de l'auditoire par son accompagnement délicat d'Una furtiva lagrima. À la baguette, Giacomo Sagripanti épouse avec aisance les rythmes changeants de la partition. Sa conduite donne la part belle aux effets théâtraux ainsi qu'aux chanteurs, au point que certains passages ne semblent pas très ouvragés. Le chœur est très présent tout au long de l'œuvre, son jeu sur scène est intelligemment chorégraphié, ses interventions musicales sont agréablement entraînantes, si bien que le public ne peut s'empêcher de fredonner les airs en sortant du concert.