Anima Sacra de Jakub Józef Orliński à Compiègne
Après un récent récital à la Salle Gaveau de Paris, le contre-ténor Jakub Józef Orliński offre sur la scène du Théâtre Impérial de Compiègne, en ouverture du Festival En Voix ! (nouveau et premier festival régional d’art lyrique et de chant choral des Hauts-de-France) un programme Alma Sacra (Âme sacrée), titre de son CD fraîchement paru avec des œuvres sacrées de Heinichen, Vivaldi, Fago, mais aussi Zelenka et Hasse, invitant les auditeurs à « quelque chose de céleste, quelque chose qui n’est pas de ce monde » pour reprendre les dires de l’interprète.
Le charme opère dès l’introduction tout en délicatesse de l’Alma Redemptoris mater d’Heinichen où l’orchestre Il Pomo d’Oro cultive la finesse du son avant que le chanteur n’ébauche un léger motif a cappella, douce volute sonore. La limpidité du discours s'orne de vocalises et s'appuie sur de longues lignes legato déployées avec aisance. Le contre-ténor respire son propos (l’italien comme le latin authentiques à l’écoute), et l’articule en faisant fi des exigences techniques. Les trilles de fin de phrase sont élégamment menés, les gammes filées en un souffle, les tenues justes au crescendo progressif, tandis que les nombreux sauts de larges intervalles, mobilisant des registres de voix différents (des médiums poitrinés à des aigus désincarnés), s’inscrivent dans un phrasé qui préserve son sang froid.
La technique se montre ainsi solide, et s’articule avec un timbre à la fraîcheur adolescente. D’une clarté suave dans les aigus comme dans le registre plus grave, la voix se déploie avec agilité et peint avec délicatesse aussi bien la sérénité planante des pièces aux tempi retenus que l’agitation (parfois timide) dans les parties plus rapides (le Nisi Dominus de Vivaldi). Le répertoire convoqué appelant beaucoup de corps dans la voix, celle-ci montre malgré tout ses limites, que ce soit en puissance comme en intensité. Juvénile et très expressive, elle demeure dans une légèreté de corps qui s’incarne dans de rarissimes fortissimi lorsque l’accompagnement et la partition l’appellent, mais aussi en un manque de caractère dans la voix qui adoucit certaines parties le requérant (l’ « Alleluja » final et ses myriades de vocalises dans le Tam non splendet sol creatus de Fago). L’ensemble pourrait ainsi gagner en amplitude, malgré de très belles pages (un serein Dum infans iam dormit avec des lignes mélodiques gracieuses).
Le contre-ténor est soutenu par l’orgue de Francesco Corti et l’effectif modéré d'Il Pomo d’Oro dont les mille nuances portent le chanteur, depuis les pianissimi presque imperceptibles jusqu'à des fortissimi fort timbrés. Le son est bien ciselé (les interprètes étant chacun de brillants techniciens de leur instrument), avec un équilibre sensible et juste entre voix solistes et continuo, parfois trop serré dans les parties allantes marquées par des silences bruts, mais offrant une large palette expressive avec un jeu très investi. En soliste, ils proposent l’Allegro de la Sinfonia en la mineur de Zelenka débordant d’énergie, les archets du continuo claqués sur les cordes tandis que violon et hautbois exécutent avec brio les lignes tortueuses.
Face aux applaudissements synchronisés du public, le chanteur, visage radieux, montre quelques pas de break dance avant d’offrir trois bis, l’Alla gente a Dio diletta où il escalade les marches harmoniques en un legato soigné, un passage du Nisi Dominus de Vivaldi avant de revenir sur scène sans partition pour délivrer l’éternel Vedrò con mio diletto de Vivaldi. Vraisemblablement détendu par les applaudissements, Orliński s’adonne entier à cet air avec une personnalité plus affirmée qu’auparavant, le chanteur s’appropriant le matériau de l’œuvre pour en exprimer toute la tension et la communiquer auprès du public.