Cocasse et animale Heure espagnole à l’Opéra de Lyon
En 2016, l’illustrateur Grégoire Pont avait créé à l’Opéra de Lyon un univers enchanteur pour la seconde œuvre lyrique de Maurice Ravel (1875-1937), L’Enfant et les Sortilèges. À la même période, il profita de sa présence à dans la capitale des Gaules pour assister à la projection de L’Inhumaine (1924) de Marcel L’Herbier, dans le cadre du Festival Lumière. Ainsi inspiré des décors burlesques de Fernand Léger, et puisant encore dans l'esthétique de Max Linder ou Buster Keaton, Grégoire Pont imagine un univers riche en références mais toutefois toujours très lisible – tout comme cette musique – pour le premier opéra en un acte de Ravel, L’Heure espagnole, sur la comédie-bouffe éponyme de Franc-Nohain, créée à l’Opéra Comique le 19 mai 1911.
Ses animations vidéo sont mises en scène par James Bonas, à la tête de l’équipe qui avait produit L’Enfant et les Sortilèges il y a deux ans, dont on reconnaît l’efficace recette : l’orchestre, sur scène, est visible à travers un fin écran qui sert de support aux projections des dessins, qui semblent interagir avec les chanteurs. Le travail nécessaire à cette interaction est minutieux, tant spatialement que temporellement. L’univers est essentiellement en noir et blanc, si ce n’est quelques rares moments où, par les lumières de Christophe Chaupin, une couleur prédomine lorsque celle de la musique doit être renforcée, s’invitant même jusque dans la salle. Les costumes blancs de Thibault Vancraenenbroeck sont très simples pour rester cohérents avec l’univers épuré et divers des illustrations : les collants blancs sont parfois agrémentés de quelques accessoires. Ce sont surtout les coiffes qui caractérisent les personnages : les oreilles d’animaux suffisent à dépeindre le caractère de chacun, illustrant ainsi, et très simplement, la « mécanique cocasse de nos petites pulsions animales ». Par cette simplicité et cette poésie, le traitement du sujet de cette "espagnolade", jugé « scabreux » par Albert Carré, Directeur d'alors à l’Opéra Comique, en est alors tout aussi coquin sans être jamais vulgaire.
Ravel reconnaissait lui-même dans sa comédie en musique des déclamations plutôt qu’un chant. Toutes les qualités vocales des jeunes interprètes ne sont donc pas mises en avant, mais le public peut apprécier leurs talents scéniques. La mezzo-soprano Clémence Poussin interprète la langoureuse chatte Concepción, coquine femme de l’horloger, avec assurance et maîtrise. Le vigoureux et naïf Ramiro du baryton Christoph Engel, en taureau, fait entendre une voix naturelle, aux allures gauches – sans aucune exagération – qui ne se retrouvent pourtant absolument pas dans le chant. Quentin Desgeorges incarne l’hilarant Gonzalve, amant charmant et poète lunaire aux oreilles de lapin, archétype du ténor vaillant mais ridicule. Le baryton Martin Hässler endosse le rôle de Don Iñigo Gomez, avec ses oreilles et sa queue de porc, absurdement coincé dans l’horloge où il s’est caché pour surprendre Concepción, avec sa voix impérieuse, qui gagnerait à offrir davantage de consonnes. Enfin, le maladroit mais malin horloger Torquemada, en souris, est interprété par le ténor Grégoire Mour avec soin.
Bien que les équilibres avec un plateau vocal, qui aurait mérité davantage de puissance, puissent être améliorés, la possibilité d’apercevoir l’orchestre derrière la scène est très appréciable. D’ailleurs, un enfant du public parut tout aussi fasciné par l’histoire que par les gestes souples et poétiques du chef d’orchestre Jonathan Stockhammer, les imitant minutieusement et sagement. Sous cette direction, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sait pleinement défendre la charmante, scintillante et raffinée musique de Ravel.
Après la morale du quintette final, qui fait entendre quelques vocalises et amusants effets vocaux, et la fin colorée telle un musical de Broadway – Ravel considérant lui-même son œuvre comme étant une comédie musicale –, toute l’équipe se fait chaleureusement et longuement applaudir par le public, une nouvelle fois enchanté et amusé par l’œuvre de Ravel et le travail de chacun.