Visite à l'Ospedale della Pietà depuis la Cité de la Musique avec Vivaldi et le Concert Spirituel
D'abord maestro di violino (professeur de violon) en 1703, puis maestro di Cappella (maître de chapelle) à l'Ospedale della Pietà de Venise, le prêtre Antonio Vivaldi est tout particulièrement lié à cette institution qui est à la fois un hospice, un orphelinat et un conservatoire de musique. Le lieu est en effet bien connu pour les « voix d'anges » des orphelines qui y étaient recueillies et qui, bénéficiant d'une éducation musicale exceptionnelle, devenaient Figlie di Coro (filles de chœur). Inspiré par leur talent, Vivaldi a composé de nombreuses pièces instrumentales et vocales jouées et chantées aux offices par les jeunes filles.
Voici, avec quelques anecdotes truculentes en plus, l'introduction qu'offre le chef Hervé Niquet avant que la première note soit jouée. Le parti pris est annoncé : celui de faire revivre ces « voix d'anges » qui faisaient résonner la chapelle de l'hospice. L'ensemble choisit donc d'épouser la disposition des tribunes du chœur de l'Ospedale en formant un orchestre et un chœur côté jardin, et un orchestre et un chœur côté cour. Il reste à imaginer le voile blanc qui cachait pudiquement les choristes de l'orphelinat des personnes présentes dans la nef.
En guise d'ouverture, les deux premiers mouvements de la Sinfonia pour cordes « Al Santo Sepolcro » remplissent l'espace de la salle, balayant peu à peu la sécheresse acoustique de celle-ci. D'une clarté sans ambages, Hervé Niquet manie rigueur et légèreté dans ses gestes. Reproduisant avec ses bras les courbes mélodiques et rythmiques de l’œuvre, simulant la surprise dans les passages concertants, le chef se fait liant entre les deux orchestres, chacun absorbant dans un même mouvement la force de l'autre. De chaque orchestre à cordes soutenu par le continuo, découle un son pur et libre, sans le moindre accroc.
S'élèvent les voix féminines tant attendues dans le psaume mis en musique Domine ad ajuvendum me festina (Éternel, hâte-toi de me secourir). Pleine de force et d'allégresse, cette composition fait éclater le dynamisme du style concertant vivaldien rendu encore plus prégnant par la présence du double chœur et du double orchestre. Dans un même souffle, les choristes « concertent » ensemble, faisant bondir les mots du jardin à la cour. Avec une diction exemplaire, soprani et alti mettent à l'honneur un texte parfaitement perceptible dans les deux psaumes Laetatus sum et In exitu Israel.
Plus orné et contrasté est le Magnificat RV 610 constitué de neuf parties qui reprennent les différentes paroles prononcées par la mère du Christ. Dans Et misericordia ejus, l'expressivité est à son comble : la ligne descendante sur laquelle glissent le chant et les dissonances vont jusqu'à évoquer le lamento des opéras.
Avec une même énergie, l'ensemble soigne l'interprétation du Gloria per l'Ospedale, pièce à part dont les conditions de composition sont encore incertaines. Parmi les douze sections qui composent cette œuvre, la seconde, « Et in terra pax », est sans doute la plus subtilement façonnée. Les harmonies contrastées amènent l'oreille jusque dans un écrin suspendu où les voix s'amoncellent sur de longues notes tenues et un somptueux crescendo très sobrement maintenu par les deux chœurs. La partie « Qui sedes ad dexteram » donne également à entendre les voix d'alti seules dont la teinte pleine et presque virile laisse les auditeurs subjugués.
Sous des bravi enthousiastes, l'ensemble agrémenté d'étudiants du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, offre sans attendre un bis explosif avec la même ferveur, et les mêmes sourires.