Te Deum et Missa Salisburgensis à Versailles : la réjouissante musique des rois
L’entrée dans la Chapelle royale du Château de Versailles demeure une expérience grandiose pour le spectateur qui se retrouve face au faste éblouissant du lieu. Au programme, le Te Deum, musique la plus jouée de Lully, et la Missa Salisburgensis qui permit à Biber de devenir Maître de Chapelle de la Cour de Salzbourg. Cette soirée en deux parties fait tout d’abord la part belle à la multitude et aux grands effectifs, semblant presque à l’étroit face au public de la Chapelle royale. En effet cette dernière permet un agencement très élégant mais aussi très dense. L’orchestre se compose de quarante-huit musiciens, dont dix trompettes enjouées et vives. Par leur place sur les balcons des colonnades, surplombant le public et tournées vers l’orchestre, elles indiquent d’avance au spectateur qui lève la tête pour les regarder qu’il se trouve bien dans l’enceinte du palais du Roi soleil. Les musiciens se saisissent alors à la fois du parterre et des balcons, les sons ne tournoyant pas mais au contraire semblant s’unifier dans une harmonie intense et globale. Côté vocal, les Pages du Centre de musique baroque de Versailles s’ajoutent aux trente-deux chanteurs par des voix d’enfants convaincus, apparaissant devant l’orgue en formant un tableau angélique digne des compositions des peintres de Louis XIV. Pour diriger l’ensemble, le chef Václav Luks mène l'opus de Lully avec une souplesse qui tend parfois à devenir flottante, comme le conflit interne entre rythme et mélodie. Ce qui déstabilise l’oreille permet aussi une certaine poésie semblant venir du temps long de l’Ancien Régime. Après l’entracte, la direction de Václav Luks évolue pour la Missa Salisburgensis avec un grand dynamisme et une volonté de précision d'où se dégagent ses intentions et nuances.
L’élément majeur commun aux deux œuvres, et qui peut s’épanouir dans le contexte de la Chapelle royale, est une forme
de mystique religieuse qui finit par imprégner intensément l’auditeur après deux heures de concert. Le Te
Deum
a en effet été composé pour le baptême du fils aîné de Lully,
et la Missa
Salisburgensis
pour les mille-cent ans de la Fondation de l’Archevêché de
Salzbourg. L'idée de mystique inatteignable qui
se voit dans le jeu très particulier demandé aux chanteurs, Václav Luks qualifiant même la Missa
Salisburgensis d’« expérimentale »
dans sa note d’intention. Les performances vocales des solistes
sont ainsi particulièrement pointues et techniques, comme celles du
petit chœur de Lully, brillant notamment par ses départs en fugue
enchaînés agiles. Le haute-contre Tobias Hunger s’illustre alors
avec une maîtrise articulée ainsi qu’une musicalité et une
justesse d’interprétation. Samir Bouadjadja en taille (environ le registre de baryténor) assume
aussi très bien sa partie avec une puissance perçante qui s’allie au velouté du timbre chaud de la basse
Tomáš Šelc, alors que les deux dessus apparaissent comme légèrement
en arrière-fond. Grâce à l’interprétation subtile du petit
chœur dans ce même Te
Deum,
l'auditoire peut noter une part d’originalité et de modernité qui font
apparaître l’œuvre de Lully pleine de mystère. Ce même phénomène se déploie pour Biber, dans l’Agnus Dei où les sonorités surprenantes sont forgées par l’orchestre et
les voix, comme un chemin vers le divin qui semble transfigurer les
musiciens, mais aussi le public. Les chanteurs apparaissent comme
portés, les voix se superposant et s’échangeant ainsi la mélodie.
Les départs en fugue sont plutôt bien assumés, en particulier par
les sopranos et altos qui manient les vocalises avec une finesse et
une technique toutes en agilité, en particulier les solistes
sopranos Jenny Högström, Lucía Caihuela, Aldona Bartnik et Dora Rubart-Pavlíková, les altos se trouvant légèrement couvertes par
les cordes nombreuses et sonores de l’orchestre.
Enfin les deux œuvres sont surtout unies par le triomphal et le magistral, ce qui n’est pas sans augurer d'un futur classicisme, surtout pour Biber. Le Collegium (et Collegium Vocale) 1704 se plaît dans le brillant de ces deux compositions, les chœurs et en particulier les sopranos se mettant ainsi en valeur dans le Te Deum de Lully, toujours très vives et surplombant parfois le petit chœur. Le clavecin, très rythmique, soutient alors bien cette dynamique qui montre une pureté et un enthousiasme fidèles à l’esprit de la composition, baptême d’un enfant dont le parrain est Louis XIV. Tout mène à l’apothéose que constitue la fin de la pièce, bien soutenue par la direction de Václav Luks, qui emporte la salle dans son enthousiasme. La Missa Salisburgensis est alors l’occasion de révéler quelques talents, comme la violoniste Helena Zemanová, qui avait déjà porté le Te Deum par sa vivacité. Dans les voix se retrouvent de nouveau des sopranos excellentes dont les vocalises rythmiques surpassent celles des voix masculines. Ces dernières s’illustrent malgré tout dans un quatuor de basses, comprenant Tomas Kral, Felix Schwandtke, Tomáš Šelc et Jaromir Nosek. La Missa Salisburgensis se distingue aussi par l’harmonie : bien que nombreuse, elle semble accordée et ample, contrastée finement par les quatre flûtes qui concourent aussi à la concorde de la pièce.
Ainsi, si le Te Deum pèche parfois par un certain manque de dynamisme, la Missa Salisburgensis valorise un effet tonnant qu’accentue le jeu des timbales et des vents. Les accords de l’orchestre se mêlent alors à ceux des voix, dans l’acoustique très particulière mais finalement si adaptée de la Chapelle royale où le public devient Cour attentive.