Des enfants nombreux à l’Opéra de Reims pour la création du Miroir d’Alice
L’opéra
est composé de six tableaux qui narrent le voyage de la jeune adulte
Alice, guidée par le lapin blanc dans l’étrange et parfois
angoissant monde inversé, à la recherche de Paula, son amie
disparue. Ce périple dans l’espace et le temps amène Alice à se
rencontrer elle-même dans le futur, se perdre dans un labyrinthe
infernal, assister à la victoire aux échecs de la Reine Blanche sur
le Roi de Cœur avant de faire un saut dans le passé et découvrir
enfin l’inquiétante Reine de Cœur qui se trouve être en réalité
la mère de la version enfant de Paula. Mais tout l’opéra n’est
en réalité que le fruit du songe qui cristallise les peurs et la
nostalgie d’une Paula adulte qui se réveille lors de l’épilogue.
La scénographie surréaliste, avec des éléments de décors aux formes improbables souvent ornés de néons colorés dont certains sont suspendus au-dessus de la scène, utilise beaucoup les jeux de lumière pour figurer les différents lieux et faire ainsi l’économie d’éventuels déplacements de matériel, aussi bien que des jeux sur les perspectives et la profondeur de la scène. Les costumes sont grotesques, colorés et enfantins de même que les perruques de carnaval dont sont accoutrés notamment le Roi et le Valet de Cœur. La mise en scène alterne entre des moments extrêmement cartoonesques appuyés par un jeu d’acteur clownesque (comme la course à pied à la fin du Tableau 3) et des instants plus solennels, graves et suspendus avec des chanteurs statiques comme pendant le Tableau 2 où Ambroisine Bré fait preuve d’une grande intensité dramatique avant que son personnage, Alice, ne passe de l’autre côté du miroir.
Le contexte onirique du monde inversé explique sans doute le choix de faire interpréter aux chanteurs des personnages différents d’une scène à l’autre et souvent antagonistes, ce qui rend parfois l’ensemble malaisé à suivre : Amandine Ammirati est tantôt la Reine Blanche puis la Reine de Cœur, Étienne Duhil de Bénazé est d’abord le Cavalier Blanc puis le Valet de Cœur, Victoire Bunel est la version jeune adulte de Paula, mais aussi la version quinquagénaire d’Alice.
L’orchestre de 13 musiciens, dirigé avec force et énergie par Bertrand Causse, joue une composition qui leur impose une relative discrétion pendant les airs chantés voire le silence pendant les récitatifs puisque ces derniers ne sont accompagnés que du Cristal Baschet joué par Catherine Brisset. L’orgue de cristal et ses vibrations féeriques ont une place centrale dans la composition de Thomas Nguyen, contribuant à poser l’atmosphère étrange et hors du temps qui caractérise tout le spectacle. L’orchestre connaît quelques moments plus intenses où le talent de ses musiciens est particulièrement mis en valeur et où malheureusement souvent il couvre les chanteurs.
La composition pour les voix ne demande pas de prouesse particulière et n’a pas vocation à mettre en valeur les qualités vocales individuelles des interprètes qui restent presque toujours dans le médium et le bas médium de leur tessiture. Cela n’est pas un avantage lorsqu’il s’agit de passer par-dessus les quelques moments forte de l’orchestre, aussi, à la fin du Tableau 4, une partie du texte et de la mélodie est-elle perdue alors que plusieurs chanteurs donnent de la voix en même temps sur scène. Ce choix permet en revanche de dévoiler la voix du baryton-basse Igor Bouin qui, lorsqu’il interprète le Roi de Cœur sur l’échiquier (Tableau 5), déploie des graves amples, sonores et pénétrants. Après un passage mimé très surjoué pendant lequel sont expliquées les règles de combat du monde à l’envers, il offre un solo sobre et plus solennel qui démontre sa polyvalence et sa puissance.
Thomas Nguyen apporte un soin particulier pour inclure de belles pièces de polyphonie vocale, parfois a cappella (Tableau 5), qui constituent toutes de beaux moments musicaux sublimés par le travail des chanteurs sur la nuance et l’homogénéité des voix qui sont justes, précises et bien équilibrées entre elles.
La mezzo-soprano Ambroisine Bré, qui tient le rôle-titre d’Alice, possède une voix légère, saine et projetée et, à l’image de l’ensemble des chanteurs, réalise un travail conséquent sur la diction et l’articulation si bien que l’auditoire peut facilement suivre le propos. Très investie dans son personnage, elle incarne de manière poignante la panique et la détresse d’Alice qui chante « Je n’y arriverai pas ! » tandis que dans les haut-parleurs la voix qui lui répond semble se déplacer dans l’espace et ne jamais venir du même endroit.
Ce travail de spatialisation du son revient plus loin, lorsque le Chat du Cheshire fait son apparition : son visage flottant traverse la scène tandis que sa voix s’élève de derrière le public du premier balcon qui découvre, dispersées en son sein, la soprano Judith Derouin et les mezzo-sopranos Amandine Ammirati et Vitoire Brunel. Elles incarnent à 3 le Chat du Cheshire, chantant chacune leur tour, les réponses aux interrogations d’Alice sur scène, qui, comme une partie du public, cherche les origines des voix de l’animal facétieux. Le mezzo-soprano d’Amandine Ammirati est plutôt lyrique et possède des aigus riches et enveloppants. Elle offre d’ailleurs plus loin, dans le Tableau 6, une belle démonstration de sa voix ample lorsqu’elle interprète avec conviction la terrible Reine de Cœur.
Étienne Duhil de Bénazé est quant à lui un ténor à la voix assez légère qui se distingue particulièrement en Cavalier Blanc. Enfin, le baryton Romain Dayez se démarque grâce au duo qu’il partage avec Igor Bouin dans lequel ils interprètent les jumeaux Tweedledum et Tweedledee. L’ensemble est très juste et équilibré, soutenu par un jeu exubérant qui provoque le rire de quelques enfants dans la salle.