Sacré voyage à Notre-Dame de Paris : Te Deum et Magnificat, de Bach à Arvo Pärt
Bondée, la Cathédrale drapée de ses couleurs du soir (lumières bleutées et dorées qui illuminent les colonnes et les chapiteaux ornés) s’offre sous un autre angle : cette fois-ci les yeux des auditeurs ne sont plus tournés vers le chœur, mais vers l’autre extrémité de la nef, en-dessous de l’orgue, où l’espace est plus resserré, et l’atmosphère, presque feutrée. Là, prennent place l’orchestre et les chanteurs de la Maîtrise, prêts à ouvrir ce voyage dans le temps porté par la mise en musique de textes chrétiens. Le Magnificat en ré majeur de Jean-Sébastien Bach semble bien choisi pour un départ en fanfare, et bien que d’origine réformée, il prolonge l’espace et le temps liturgique catholique. Comme le rappelle le recteur avant le concert, le texte biblique est chanté tous les soirs dans la Cathédrale, durant les Vêpres.
Désirant condenser toute la joie de Marie choisie pour mettre au monde le Messie, Bach fait dès l’ouverture exploser de jubilation le chœur et l’orchestre. Les ténors et basses s’y prêtent parfaitement en exprimant pleinement la virtuosité de leurs vocalises par leurs mouvements de tête. Découpant le Magnificat en douze parties, Bach varie les formations vocales selon les versets : tantôt solistes, duos, trios et bien sûr chœur, incarnent les paroles. L’alto Orelle Pralus donne la première sa voix à l’air léger et tranquille « et exsultavit spiritus meus in Deo salvatore meo » (et mon esprit a exulté en Dieu, mon sauveur). Son expression sobre et sa posture immobile contrastent avec la légèreté doucement dansante de l’air. Plus de caractère aurait sans doute donné plus de force à l’interprétation. L’air suivant est plus intérieur, invitant l’auditeur à méditer sur l’humilité de « la servante du Seigneur ». Accompagnée du hautbois, la soprano Maria Lueiro Garcia, dévoile avec finesse les vocalises descendantes qui illustrent le mot « humilitatem ». Dans l’air chaleureux qui suit, la basse Andrés Prunell Vulcano offre une teinte pleine et généreuse au rappel des « merveilles du Tout-Puissant », imité par le violoncelle et l’orgue positif.
En duo, le ténor Gaël Martin et la soprano Floriane Hasler déroulent un long chant, parfaitement ficelé, sur les paroles « sa miséricorde s’étend d’âge en âge », tandis que Jesus Rodil Rodriguez fait retentir des vibrati serrés et un ton décidé. Avant le Gloria final, Bach adjoint encore un trio pour deux soprani et alto où paraît Laurence Pouderoux dont les aigus nets manquent quelque peu d’expression.
Projeté deux siècles plus tard, l’auditeur retrouve Bach mais déguisé par Stravinsky dans les Variations chorales sur « Vom Himmel hoch da komm' ich her » (Je viens des Cieux). Composées en 1956, il s’agit d’une transcription pour chœur mixte et orchestre des Cinq variations en canon pour orgue sur le thème bien connu du choral de Martin Luther, chanté pour fêter la Nativité. Surprenante de majesté et de virtuosité, l’œuvre fait la part belle aux pupitres de cuivres et de bois, comme souvent dans les opus à petit effectif chez le compositeur russe. L’exactitude que requièrent les passages fugués sont maîtrisés avec élégance par la flûtiste soliste Marina Chamot-Leguay et les bassonistes.
Ce contrepoint dynamique et métronomique est caractéristique de la période néo-classique du compositeur naturalisé américain. D’ailleurs, à certains égards, les variations rappellent le Concerto Dumbarton Oaks composé vingt ans plus tôt. Une part beaucoup plus sobre est confiée au chœur qui chante le thème du choral, le plain-chant, avec grande solennité. En accord avec l’ethos de l’œuvre, la chef polonaise, Marzena Diakun, donne à son geste une régularité immuable qui laisse peu de place à la fantaisie.
Quittant l’éclat brillant des cuivres et des fugues, le voyage se poursuit vers des contrées plus épurées et méditatives, celles d’Arvo Pärt et de son Te Deum. Écrit pour trois chœurs, piano préparé, orchestre à cordes et bande magnétique, il s’agit d’une des premières œuvres du compositeur créées en Allemagne de l’Ouest, de l’autre côté du rideau de fer. Véritable prière, l’hymne est écrit dans le style tintinnabuli (petites cloches en latin), technique de composition entièrement inventée par le compositeur suite à sa conversion personnelle. L’œuvre commence par une note très grave, produite par la bande-son, tel un grondement. L’un après l’autre, les chœurs chantent les premières paroles sur cette même note. Les gestes de Marzena Diakun se font plus fins, très calmes, dosant avec mesure les changements d’intensité.
L’œuvre prend tout son sens dans les dires d’Arvo Pärt : « La profusion et la variété ne font que me troubler, et je dois rechercher l’unité ». En effet, si le Te Deum oscille entre ombres et lumières, il reste figé sur les trois notes d’un même accord. Cette unité est maintenue tout au long de l’œuvre au travers de cette « voix triade » mais aussi de la « mise à nu » de chaque chœur traité isolement et a cappella, laissant les interprètes dépouillés, mais aussi parfaitement audibles. C’est ainsi que se dévoilent les aigus du chœur d’enfants, perçant avec douceur, ainsi que la force des voix de la Maîtrise présentées avec d’autant plus de vigueur. C’est aussi dans cette pleine lenteur, inspirée des chants grégoriens, que se déploie le texte, absolument perceptible. L’œuvre s’achève dans la paix et la douceur, maintenue par Marzena Diakun dont les bras restent levés pendant plus d’une minute.
Sous le regard de l’ange jouant de la trompette en haut de la scène aménagée, le public laisse alors éclater son enthousiasme par de longs applaudissements.