Vision exquise de l’Orient à l’Opéra de Rouen
Le voyage commence sitôt les portes de l’Opéra de Rouen franchies. Ici, un conférencier propose une introduction aux œuvres qui seront jouées, là-bas, les élèves du Conservatoire présentent le travail fait en masterclass avec Véronique Gens autour de la mélodie française. Puis vient le temps du concert qui s’ouvre avec un enregistrement audio de qualité moyenne des « Étranges étrangers » de Jacques Prévert dont une partie du texte n’est malheureusement pas compréhensible.
Le jeune chef Jamie Phillips montre une maîtrise parfaite du répertoire et dirige avec conviction et maturité l’Orchestre de Rouen Normandie qui débute le programme avec la « Suite orientale pour orchestre opus 29, n°1 » de Gustave Holst. L’oreille est d’emblée ravie par l’équilibre subtil régnant au sein des instruments qui proposent une Première danse aux nuances féeriques : les cordes établissent une atmosphère intrigante et sont rapidement rejointes par les flûtes puis les hautbois qui dansent avec une scrupuleuse précision. Les percussions et les cuivres permettent ensuite à la musique, que la harpe habille de dentelle, de devenir grandiose. De brèves imprécisions rythmiques perturbent les vents pendant « Dans les rues de Ouled Naïls » qui, sur le motif hypnotique à quatre notes répétées en boucle, sont parfois en avance sur le tempo donné par Jamie Phillips.
Véronique Gens interprète les trois poèmes de Shéhérazade de Maurice Ravel, parfaitement mis en valeur par sa voix de soprano Falcon dont les bas mediums et les graves incroyablement sonores flirtent avec le mezzo-soprano. Elle interprète avec simplicité et sans excès la première mélodie, l’Asie, et trouve l’équilibre absolu avec l’orchestre. Véronique Gens privilégie le texte avant tout et parvient, grâce à sa diction d’exception, à s’effacer entièrement pour devenir la conteuse de l’Orient. Elle ne regarde quasiment jamais sa partition mais parcourt la salle de son regard profond dans lequel se reflète l’exotisme de la Perse, de l’Inde, de la Chine pour délivrer une mélodie pure. La voix est juste, souple, et la technique exemplaire. Les aigus sont vaillants et éclatants. Pourtant lorsqu’elle chante L’Indifférent, le public s’oublie dans l’histoire et les images offertes par les mots de Tristan Klingsor et se noie dans les émotions provoquées par la composition magistrale de Ravel.
Les applaudissements retentissent longtemps et après être revenue saluer humblement, presque timidement, trois fois, Véronique Gens et l’orchestre entament joyeusement avec beaucoup d’énergie, en bis, L’Île inconnue de Berlioz qui conclut la première partie du voyage.
Jamie Phillips revient avec l’orchestre pour la deuxième partie de soirée consacrée à l’orchestration généreuse et grandiloquente signée Maurice Ravel des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski. Les dix mouvements sont exécutés avec virtuosité et intensité et le public vibre d’allégresse pendant le final explosif de La grande Porte de Kiev, grâce en particulier à l’investissement des cuivres, les coups retentissants des gongs, de la cloche et de la cymbale.
Le chef parvient ensuite à calmer avec humour l’ovation méritée pour un bis tout en légèreté, aussi réussi que le reste : « Waltz », du Crime de l’Orient Express de Richard Rodney Bennett.